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Virée par email, Nadia découvre qu'elle a TRAVAILLÉ AU NOIR à son insu: "J'avais pourtant des fiches de paie et un salaire!"

Virée par email, Nadia découvre qu'elle a TRAVAILLÉ AU NOIR à son insu: "J'avais pourtant des fiches de paie et un salaire!"
 
 

Travailler pour un employeur, recevoir des fiches de paie et un salaire… sans pour autant être déclarée à l'ONSS, c'est l'incroyable situation dans laquelle s'est retrouvée Nadia. Elle témoigne de son parcours du combattant pour faire reconnaître ses droits. Nous avons contacté les organismes responsables pour comprendre comment cette situation est possible.

Après trois mois sans revenus ni allocations, Nadia nous a contactés via notre page Alertez-nous à bout de force. "Je n'en peux plus, c'est une aberration du système!", s'indigne l'habitante de Philippeville, dans la province de Namur. Son syndicat, la FGTB, affirme que ce type de fraude touche de nombreux travailleurs. Nous avons contacté l'ONSS (Office national de sécurité sociale), le SPF (Service Public Fédéral) Emploi et l'ONEM (Office national de l'emploi) pour comprendre comment ce type de situation, totalement illégale, est possible.


"Je savais que mon emploi était menacé, mais je ne m'attendais pas à ce qui allait arriver"

Nadia commence son travail de vendeuse dans un magasin de solderie et de décoration en juin 2014. "J'ai commencé à travailler là car je connaissais un peu la propriétaire, et sa fille qui est la gérante", explique-t-elle. Fleuriste de métier, Nadia a 48 ans et souhaitait vivre dans la tranquillité après des années de travail. Mais le 9 mai 2015, tout bascule. Ce jour-là, Nadia participe à l'aménagement d'un nouveau magasin à Gosselies. "Le site où je travaillais avait été fermé. Ce nouveau magasin ne devait rester ouvert que trois mois. Donc je savais que mon emploi était menacé, mais je ne m'attendais pas à ce qui allait arriver", confie Nadia.

Parallèlement à cette situation difficile pour l'entreprise, Nadia ne reçoit pas toujours ses fiches de paie à temps. "Il y avait des mois où je ne les recevais pas, et je devais les réclamer à la fille de la patronne, qui se chargeait de la partie administrative", explique-t-elle. "Ce n'était pas très correct, mais bon, je n'avais pas envie de déposer plainte ou d'aller voir mon syndicat", se justifie Nadia. "D'autant que je connaissais la patronne et sa fille, ça aurait plombé l'ambiance et mes conditions de travail auraient été plus difficiles", précise-t-elle.


Licenciée par email

Le 9 mai dernier, alors qu'elle déménage du matériel pour le magasin, Nadia se blesse à l'épaule et se déchire le tendon. "J'avais déjà quelques problèmes de santé, et le médecin m'a donné un traitement à long terme pour soigner ma blessure, encore aujourd'hui je dois aller chez le kiné", explique-t-elle.

Deux jours après s'être blessée, Nadia reçoit un email de la fille de la patronne. Il contient une nouvelle qu'elle ne s'attendait certainement pas à recevoir de cette façon. "Elle m'informait que j'étais virée, comme ça, par message", explique Nadia, indignée. Face au licenciement, la mère de famille s'attend à rester en incapacité de travail avant que la période de préavis ne débute. La gorge nouée, Nadia poursuit son récit. "Sauf que l'avis de licenciement était daté du 22 avril, donc avant ma blessure. Mais la patronne ne m'avait jamais rien dit!", explique-t-elle en colère.


Travailleuse au noir à son insu

Suite à son licenciement, Nadia se tourne vers sa mutuelle. C'est à ce moment qu'elle découvre la situation dans laquelle elle se trouve. "En voulant remplir les documents pour la déclaration d'accident, et quand j'ai contacté l'ONSS, on m'a dit que je n'étais plus déclarée depuis le mois de septembre 2014!", explique Nadia. "Depuis ce moment-là, je n'étais plus considérée comme travailleuse. Je n'avais pas droit à l'incapacité de travail, ni à des indemnités de chômage, rien", ajoute-t-elle.

Choquée par sa découverte, déconcertée de ne plus être déclarée depuis près de neuf mois, Nadia ressort ses fiches de paie et se rend compte de la supercherie. "Ce sont des fausses, elles indiquent toujours le même numéro de journal des paies", décrit-elle. "Et c'est vrai que dans mon compte individuel, qu'AG Insurance m'a envoyé en mars 2015, il n'y a pas de quatrième trimestre en 2014", explique Nadia. "Jamais je n'aurais imaginé que ça irait aussi loin", ajoute-t-elle.


FGTB: "Madame n'est pas la seule à être confrontée à ce genre de situation"

Pour l'aider à se défendre, Nadia fait appel à son délégué syndical de la FGTB. Nous avons contacté le syndicat socialiste. "Je peux vous dire que l'employeuse n'a plus de secrétariat social depuis le mois de septembre, et qu'une procédure juridique est en cours", nous explique une juriste. "Nous ne pouvons cependant pas en dire plus, car c'est un cas privé qui est en route", ajoute-t-elle.

Notre interlocutrice nous renvoie alors vers la secrétaire régionale du SETCa, le syndicat des employés, des techniciens et des cadres de la FGTB. "Madame n'est pas la seule à être confrontée à ce genre de situation", explique Raymonde Le Lepvrier. La responsable poursuit et se veut plus inquiétante. "Un employeur peut très bien faire de fausses fiches de paie et ne pas déclarer ses salariés. Et s'il n'y a pas de contrôle de l'inspection du travail, cette situation peut perdurer", ajoute-t-elle. "Beaucoup de travailleurs, et notamment les jeunes, s'estiment heureux d'avoir un emploi par ces temps de crise, et sont moins attentifs à leurs fiches de salaire et à leurs droits", tient-elle à préciser.


ONSS: "Nous ne rencontrons qu'un ou deux travailleurs non déclarés à leur insu tous les six mois"

La question qui taraude Nadia, c'est pourquoi l'Office national de sécurité sociale, l'ONSS, n'a rien remarqué. Nous avons contacté leurs services. "Cette situation est très spécifique. À vrai dire, nous ne rencontrons qu'un ou deux cas de travailleurs non déclarés à leur insu tous les six mois", rassure Karel Deridder, directeur général du Service de l'inspection de l'ONSS. Il nous détaille les étapes d'un engagement pour mieux comprendre. "La première étape est de déclarer le travailleur à l'ONSS via la Dimona (Déclaration Immédiate/Onmiddellijke Aangifte), avant le premier jour de travail. Les informations qui y figurent seront transférées à tous les services de sécurité sociale", explique-t-il.

La deuxième phase survient un mois après la fin du trimestre où le salarié a été engagé. "À ce moment, l'employeur doit transmettre une Dmfa, une Déclaration multifonctionnelle", explique Karel Deridder. La Dmfa contient les données de rémunération et de temps de travail de tous les travailleurs occupés chez un employeur au cours d'un trimestre donné. "Si elle n'est pas transmise, l'employeur est considéré comme 'silencieux'. La situation est alors vérifiée car c'est possible qu'il ne s'agisse que d'un oubli. Mais un inspecteur peut être envoyé si c'est nécessaire", précise le directeur général de l'inspection. Le problème, c'est que cette procédure peut prendre beaucoup de temps. Il faut attendre un mois après la fin du trimestre, ajouter le délai des vérifications, et encore compter le temps que prendra l'inspecteur pour contacter l'entreprise et se rendre sur place.

En cas de licenciement, l'employeur doit envoyer une sortie de Dimona à l'ONSS, et remettre au travailleur un C4, c'est-à-dire un certificat de chômage. "Je ne connais pas le cas précis de madame, il se peut qu'il n'y ait même pas eu de Dimona, ou qu'il y en ait eu une, mais sans Déclaration multifonctionnelle", explique Karel Deridder. "Il est aussi possible que sa patronne ait envoyé une sortie de Dimona sans la prévenir", ajoute-t-il.


"Ce n'est pas parce que vous recevez des fiches de paie que tout est en ordre"

Pour éviter de devenir un travailleur au noir à son insu, le mieux est encore d'être attentif. "Si l'employeur travaille avec un secrétariat social, c'est un gage de confiance. Il faut cependant rester vigilant. Nous avons déjà eu des cas de patrons qui usurpaient l'identité d'un secrétariat social pour envoyer de faux documents avec le logo de l'organisme", explique Karel Deridder. Si votre employeur quitte subitement son secrétariat social, ça peut être le signe que la situation est difficile pour lui, et qu'il essaie de faire des économies.

"Ce n'est pas parce que vous recevez des fiches de paie que tout est en ordre", confie Karel Deridder. Restez sur vos gardes, surtout lorsque des problèmes apparaissent. "Par exemple, quand les fiches de paie arrivent en retard, que le salarié doit les réclamer, ou lorsque les salaires sont payés en retard", précise M. Deridder. Sans tomber dans la paranoïa, ces éléments peuvent être des signaux.

Enfin, "vous pouvez aussi vous rendre compte d'une fraude de votre employeur au moment de remplir votre déclaration d'impôt", explique de son côté Eric Pauwels, directeur adjoint du Service central de contrôle à l'ONEM. En effet, vous avez besoin de votre fiche fiscale pour remplir le document. Si vous n'êtes pas déclaré, votre employeur sera dans l'incapacité de vous la transmettre.

Si vous avez un doute, vous pouvez vous adresser directement à l'ONSS par courrier ou par email afin de vérifier votre situation. Vous pouvez également contacter tout organisme de paiement, tel qu'un syndicat ou une mutuelle. "Grâce à la transmission des données, ils disposent des informations sur votre statut", explique le directeur général du Service de l'inspection. 


Le salarié doit fournir la preuve qu'il a travaillé

Dans le cas où vous constater que vous travaillez sans être déclaré, vous pouvez déposer une plainte auprès de l'Inspection loi sociale du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale. "Lorsqu'un travailleur dépose plainte, il doit fournir des preuves de son occupation en tant que salarié. Éventuellement les fausses fiches de paie, s'il y en a. Avoir des témoins, ou des bordereaux à son nom, etc.", précise Pol Neuville, inspecteur-directeur à l'Inspection sociale de Bruxelles-Capitale.

L'Inspection sociale va alors ouvrir un dossier et vérifier si les droits du travailleur sont respectés. Il sera auditionné, les preuves seront copiées et une enquête va être lancée. "Une information pénale est alors déposée auprès de l'auditorat du travail, qui joue le rôle de ministère public pour le tribunal du travail", explique Pol Neuville. L'auditeur va alors examiner le dossier, et décider s'il faut aller au tribunal correctionnel. "Si l'auditeur estime que ce n'est pas nécessaire, il renvoie le dossier au SPF Emploi pour qu'une amende administrative soit dressée, car c'est plus rapide", ajoute l'inspecteur-directeur. L'employeur fraudeur devra alors payer une amende et régulariser sa situation auprès des organismes de sécurité sociale et du travailleur.

Le cas de Nadia était également compliqué par son accident de travail qui l'a blessée. Dans ce cas, le travailleur qui se rend compte qu'il n'est pas déclaré doit également s'adresser au Fonds des accidents du travail.


"Si même l'ONSS a peur d'une petite entreprise, mais où va-t-on?"

Nous avons tenté de joindre à plusieurs reprises l'ancienne employeuse de Nadia pour obtenir son point de vue sur le dossier, mais nos appels sont restés sans réponse.

Plusieurs mois après avoir été virée, Nadia est finalement parvenue à toucher des indemnités auprès de sa mutuelle depuis le mois d'août. Le problème lié à ses congés payés n'est cependant toujours pas résolu. Elle nous explique que son ancienne patronne n'a pas voulu remplir les documents pour l'ONSS. "Et l'ONSS ne veut pas mettre les pieds dans le plat. Ils ont peur de l'attaquer en justice... Si même l'ONSS a peur d'une petite entreprise, mais où va-t-on?", s'indigne Nadia. "D'autant que je n'ai toujours pas mon C4, je n'ai donc pas droit au chômage", précise-t-elle. "Si je n'avais pas été blessée, je n'aurais rien", ajoute Nadia.


@David Fourmanois


 

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