C’est un appel à l’aide déchirant lancé via le bouton orange Alertez-nous, celui de Laura dont le frère est atteint de schizophrénie. La jeune femme sourde témoigne des difficultés que rencontre sa famille au quotidien.
Notre témoin préfère rester anonyme car la schizophrénie souffre de stéréotypes. Laura (nom d’emprunt) et sa famille se sentent d'autant plus démunies face à cette maladie mentale.
"Je n'arrive pas à comprendre qu'on laisse ces personnes souffrantes seules dans la nature sans être soignées, écrit-elle. C'est même dangereux pour la société. Parfois, on lit dans la presse des articles sur des personnes soi-disant "déséquilibrées " qui tuent leurs enfants ou qui agressent sans raison particulière. Ce n'est pas leur responsabilité, c'est à cause d’une loi qui est mal faite pour eux", estime Laura, soeur d'un schizophrène.
Que fait-on réellement pour les personnes souffrant de ce genre de troubles mentaux? La société les a-t-elle abandonnés? Nous allons tenter de répondre à ces questions difficiles.
Des traitements souvent lourds… pour stabiliser
Le frère de Laura est âgé d’une quarantaine d’années et il souffre de schizophrénie depuis plus de 20 ans, une maladie psychique sévère et chronique appartenant à la classe des affections psychotiques. Ces troubles affectent le fonctionnement du cerveau de façon majeure en modifiant les pensées, les croyances ou les perceptions.
La schizophrénie touche environ 1% de la population et se manifeste par une perte de contact avec la réalité, souvent accompagnée de délires et d’hallucinations. Avec des conséquences parfois spectaculaires: certains patients entendent "des voix".
Les traitements, qu’ils soient médicamenteux comme les neuroleptiques (molécule agissant sur le système nerveux en modulant à la fois l'agitation et l'activité neuronale) et non-médicamenteux comme les thérapies par la parole, permettent de stabiliser les patients et d’améliorer les symptômes. "On n’a pas la prétention aujourd’hui de pouvoir guérir définitivement les malades, considère le psychiatre Patrick Vanderheyden. Certains sont bien stabilisés, d’autres restent avec des symptômes permanents ou qui s'expriment par moments".
Des crises à répétition
Dans son message, Laura décrit une situation malheureusement trop courante chez les patients les plus atteints: des séjours à l’hôpital qui se multiplient (déjà une dizaine au total) et le reste du temps une cohabitation avec des parents vieillissants et fragiles.
L’une des principales difficultés, c’est que la personne atteinte de schizophrénie n’a pas conscience de sa maladie, en tout cas pendant les périodes de crise. "Une fois que mon frère sort de l'hôpital, il se sent mieux. Donc, il va diminuer de lui-même ses médicaments. Et la crise recommence à chaque fois. Mes parents ont beau lui dire de continuer son traitement, mais c’est toujours la même chose, ils reçoivent les coups de colère de mon frère et finissent par appeler le psychiatre qui leur dit de contacter la police". Le malade se fait ainsi embarquer en ambulance pour être transporté à l'hôpital en urgence et être soigné. De rechute en rechute, l’histoire se répète et épuise les proches, qui se sentent démunis.
"Une fois, mon frère a dit à mes parents qu’il voulait se faire euthanasier. C'est très dur d'entendre ça. Il comprend très bien sa souffrance mais rien n’est fait à l'heure actuelle dans la société pour l’aider", poursuit encore Laura, notre témoin.
La solution: mieux communiquer avec le malade?
Cette problématique difficile est bien connue de Similes, une association qui soutient les proches de personnes atteintes de troubles psychiques. "C’est extrêmement compliqué de faire comprendre à la personne qu’elle doit reprendre son traitement, car il s’agit de médicaments très lourds… On dort beaucoup, on grossit", pointe Jean-Philippe Lejeune de Similes.
L’association propose d’ailleurs des ateliers de psycho-éducation pour apprendre aux familles à mieux comprendre et communiquer avec le malade. Des techniques qui sont assez efficaces puisqu’il y aurait 50% de rechutes en moins chez les patients qui suivent ces modules et beaucoup moins de dépression chez les proches.
Mais quand rien ne marche… peut-on forcer quelqu’un à se soigner?
En règle générale, c’est non évidemment. La liberté individuelle prévaut. "On obtient toujours de meilleurs résultats quand le patient est motivé dans son traitement. On essaye d’abord de créer une alliance avec le patient, de lui expliquer son problème, les différentes options et de co-construire avec lui son traitement", souligne le docteur Vanderheyden.
Une exception est prévue par la loi, en cas de danger réel pour l’intégrité physique du malade ou d’autrui: "On peut alors s’adresser au procureur du roi mais il faut pouvoir objectiver une maladie mentale, avec un certificat médical. En cas d’extrême urgence si on ne trouve pas de médecin, on s’adresse directement au procureur du roi qui peut décider d’une mise en observation immédiate dans un hôpital psychiatrique", précise le juge de paix honoraire François-Joseph Warlet qui ajoute que cette manière d’agir est assez fréquente pour les cas de maladies mentales.
Et si le malade n’a plus de proches?
La requête doit toujours être déposée par une personne intéressée, donc la plupart du temps par un membre de la famille. Mais que faire lorsqu’il n’y a plus de proches ou lorsque les proches sont eux-mêmes vulnérables? C’est le cas de Laura, notre témoin. Sourde, elle communique difficilement avec les autres et elle s’inquiète pour l’avenir de son frère. "Que va-t-il devenir quand mes parents ne seront plus là? Je ne sais pas téléphoner directement, en cas de crise à la police ou à l’hôpital. J'aime mon frère tel qu'il est. Il n’est pas responsable de sa maladie. Je ne veux pas qu’il fasse une grosse bêtise à cause de moi, parce que je ne pourrai pas intervenir par téléphone ou à cause d'un manque d'encadrement thérapeutique", confie Laura.
La plupart des malades ne travaillent pas et vivent donc avec des membres de leur famille. Si l’entourage ne peut pas les héberger et "s’occuper" d’eux, les patients se retrouvent dans des situations très délicates. "Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas d'appartements associatifs à visée thérapeutique pour prendre en charge les malades tout au long de leur vie et pas seulement en cas de crise", lance Laura.
Ces logements adaptés existent-ils en Belgique?
Il y a bien quelques initiatives privées à Bruxelles et en Wallonie, des habitats supervisés et/ou groupés au loyer modéré et qui mêlent parfois foyers "classiques" et personnes fragiles. Des initiatives très intéressantes, non seulement au point de vue médical mais aussi au point de vue humain. Malheureusement, ce type de logement n’existe pas en suffisance. "Il faudrait un accroissement du nombre d’habitations adaptées et aussi un aménagement des conditions d’accès au logement social", affirme Jean-Philippe Lejeune de Similes.
Le psychiatre Patrick Vanderheyden qui travaille lui-même à un projet d’habitation solidaire mixte à Liège dresse un constat similaire: "Dans les hôpitaux psychiatriques, il y a beaucoup de lits. Il y a aussi des initiatives d’habitations protégées au sortir de l’hôpital mais par la suite, avant de retourner dans la famille ou pour les gens qui n’ont pas de famille ou de logement, il manque effectivement un dispositif. On est en train de réfléchir là-dessus", conclut-il.
Si tous les acteurs s’accordent pour dire qu’il y a un manque criant d’infrastructures, le principal handicap, c’est évidemment le coût. "Il faudrait que les quelques initiatives qui existent fassent des petits et qu’il y ait une vraie préoccupation gouvernementale", plaide encore Jean-Philippe Lejeune de l’association Similes.
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