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L'agent immobilier dit à Sophie, mère seule avec deux enfants, qu'"il ne faut pas espérer cet appartement": DISCRIMINATION?

L'agent immobilier dit à Sophie, mère seule avec deux enfants, qu'"il ne faut pas espérer cet appartement": DISCRIMINATION?
 
 

Mère célibataire, Sophie vit seule avec ses deux enfants. À la recherche d'un nouveau logement en périphérie bruxelloise, elle s’est sentie victime de discrimination lors de sa dernière visite d’appartement. Selon elle, l’agent immobilier a eu un comportement scandaleux. Mais était-ce une discrimination par rapport au fait qu’elle est une femme, ce qui est punit par la loi, ou par rapport à ses revenus, ce qui ne l’est pas?

Sophie a 43 ans et est mère de deux enfants, des jumeaux de 15 ans et demi qu’elle élève seule. Depuis le mois de janvier, elle recherche un nouveau logement. Il y a quelques semaines, elle, sa fille et son garçon, ont visité un appartement à Grimbergen, au nord de Bruxelles, en région flamande. Une visite qui s’est mal déroulée. "Un délégué de l’agence immobilière est arrivé et il ne s’est même pas présenté", confie Sophie, qui nous a contactés via la page Alertez-nous. "Il m’a demandé si nous n’étions que trois. Quand il a compris que je vivais seule avec deux enfants, son comportement a changé." Selon elle, la visite a été rapidement expédiée, ne durant que deux ou trois minutes. "Un temps record ! Nous n’avons pas eu l’occasion de poser des questions ni d’avoir plus de détails. Il était d’une froideur pas possible. Après la visite, il nous a dit qu’on allait continuer dehors. On est descendu et il m’a dit: 'J’espère que vous ne gagnez pas que 1.500 par mois, parce qu’il ne faut pas espérer cet appartement. Vous devez vraiment vous tourner vers autre chose’." L’agent immobilier lui aurait même demandé si ses enfants rapportaient de l’argent à la maison… Une question qu’elle juge "scandaleuse". "Ça ne se fait pas. C’est de la discrimination de me faire comprendre que je n’aurai pas l’appartement parce que je vis seule avec deux enfants."


"Ce gars ne sait pas combien je gagne !"

Sophie est toujours sous le choc. "Les enfants et moi avons été bien refroidis par la manière dont on nous a traités. C’est même mon fils qui m’a dit: 'Maman, on s’en va !’ Le délégué a dépassé les bornes. Ce gars ne sait pas combien je gagne !" Réceptionniste, elle a un revenu de 2.250 euros bruts par mois. Elle recherche donc un appartement dont le loyer s’élèverait à maximum 850 euros par mois. Une somme qu’elle paie déjà aujourd’hui et que ne dépassait pas l’appartement visité. "Cela va faire deux ans que je vis à Merchtem et je paie 790 euros de loyer. Cet appartement-ci était à 820 euros, donc c’était dans mon budget."


Discrimination, oui, mais laquelle ?

Visiblement, Sophie a bien subi une discrimination. L’agent immobilier a déduit de son statut de femme célibataire qu’elle représentait un risque financier pour le propriétaire. Mais dans quelle catégorie ranger cette discrimination? Est-elle basée sur le sexe, sur le statut de célibataire avec enfants, ou est-elle financière? Une question difficile à laquelle deux spécialistes ont tenté de répondre.


"Toute personne seule avec enfant confrontée au même problème"

Une discrimination spécifique aux femmes célibataires avec enfants existe-t-elle dans notre pays? Pour José Garcia, secrétaire général du syndicat des locataires, la réponse est à la fois oui et non. "Toute personne seule avec enfant est confrontée au même problème. Il se trouve simplement que ce sont majoritairement des femmes qui sont dans le cas. Ce que je peux confirmer, c’est que même si la visite (de l’appartement par Sophie) était allée à son terme, les probabilités qu’elle subisse une discrimination étaient plus importantes que pour des couples, y compris si un seul des deux travaille."


"Des cas d’hommes refusés car ils étaient des hommes"

L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes va dans le même sens. "On a déjà reçu des plaintes de femmes ou de mamans célibataires qui se sont vues refuser la visite d’un bien si elles n’étaient pas accompagnées de leur mari! Mais on a aussi déjà eu des cas d'hommes refusés car ils étaient des hommes. Cette année par exemple, nous avons dû aller en justice contre un propriétaire de kot qui avait refusé un étudiant car il préférait n’avoir que des filles. L’agence immobilière lui avait clairement donné cette raison, donc il nous a contactés", explique Elodie Debrumetz, la responsable communication de l’Institut.


La plupart des propriétaires agissent plus prudemment pour ne pas sélectionner un locataire

Cependant, par rapport aux autres cas de discrimination sur base du sexe que traite l’Institut, celle au logement est plutôt rare. "On n'en a pas des centaines car on est souvent confrontés à ce qu’on appelle l'under-reporting (donc le fait d’avoir moins de déclarations que de cas réels). Les personnes n’ont pas toujours conscience qu’elles sont discriminées sur base de leur sexe car il faut qu'on leur invoque clairement cette raison. Et en général, les propriétaires font passer les visites puis choisissent simplement quelqu’un d’autre sans justifier leur choix."


"Tirer ses revenus du CPAS est une raison valable pour ne pas accorder un logement"

Mais pour José Garcia, cette discrimination est d’abord financière et non basée sur le sexe. Les propriétaires sélectionnent les locataires sur base de leurs revenus, ce qui n’est pas considéré comme de la discrimination en Belgique, comme le fait remarquer le Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme dans sa publication La discrimination au logement, comment l’éviter? M. Garcia rappelle un exemple récent: "Un tribunal de Mons avait été saisi par un homme d’origine africaine et émargeant au CPAS qui s’était vu refuser un bail. Le propriétaire a été condamné pour discrimination, mais uniquement sur base de la couleur de peau. Le tribunal a par contre admis que tirer ses revenus du CPAS était une raison valable pour ne pas lui accorder le logement, dans le sens où un propriétaire peut estimer qu’en dessous d’un certain revenu, son loyer est trop cher." Une forme de discrimination légale qui a cependant ses limites. Au début de ce mois de mai, et pour la première fois en Belgique, un tribunal a reconnu que "l'exigence d'un CDI dépassait la 'couverture normale' d'un risque de défaut de paiement". Mais fixer un revenu minimum par rapport au loyer demandé reste légal.


Pourquoi ne pas obliger les propriétaires à motiver leurs choix ?

Pour mettre fin aux discriminations, José Garcia pointe deux problèmes à résoudre. "Les propriétaires ont le choix car il y a plus de demandes que d’offre, et ils ne sont pas tenus de dire pourquoi ils ne choisissent pas quelqu’un." Augmenter le nombre de logements disponibles (en construisant par exemple plus de logements sociaux) et obliger les propriétaires à motiver leurs choix permettrait déjà de freiner le phénomène. D’autant qu’en général, c’est la situation sociale et financière des candidats locataires qui prime sur une quelconque autre discrimination. Comme pour cette jeune femme qui s’était vue refuser plus de 30 visites de maisons et dont RTLinfo vous relatait l’histoire l’été dernier. L’argent reste le nerf de la guerre, une évidence résumée par M. Garcia en une phrase choc: "Noir ou homosexuel, peu importe la discrimination, si vous avez du pognon, il n’y a pas de problème pour obtenir un logement !"


Trop de gens n’ont pas conscience qu’ils sont discriminés ou qu’ils discriminent

Quant aux discriminations qui sont spécifiquement liées au sexe, où ce sont plus souvent les femmes qui sont les victimes, Elodie Debrumetz pense qu’il faudrait d’abord que la population prenne consciente de ses droits. "Malheureusement, les stéréotypes sont totalement intégrés dans notre société. On a par exemple encore beaucoup des femmes qui trouvent normal d’être discriminées par leur employeur à cause de leur grossesse. J’ai déjà entendu : 'J’ai eu 3 enfants en 5 ans, je comprends que mon patron me licencie.' De plus, beaucoup de personnes qui discriminent n’en sont même pas conscientes. Faire une différence entre le prix d’entrée en discothèque pour les hommes et les femmes par exemple, c’est de la discrimination et c’est interdit. Heureusement, il suffit souvent de rappeler la loi à ces gérants pour que la discrimination cesse. A l’Institut, on privilégie toujours la conciliation avant d’intenter une action en justice si celui qui discrimine ne veut rien entendre."


Des excuses de l’agence acceptées

Sophie, elle, n'a pas porté plainte. Elle a tout de même dénoncé le comportement de l'agent par mail auprès de son employeur: "Ils m’ont répondu le jour-même, en me disant qu’ils étaient vraiment désolés de la manière dont cela s’était passé, qu’ils me remerciaient de les avoir prévenus et qu’ils ne manqueraient pas de contacter leur collaborateur pour avoir une explication." Une réponse sous forme d’excuse qu’elle a estimée "correcte". Désormais, elle a repris ses recherches de logement pour elle et ses jumeaux. Une recherche difficile car elle est obligée de rester près de Bruxelles, où ses enfants vont à l’école. Une région où la pression immobilière est forte avec des loyers supérieurs au reste de la Belgique et une véritable concurrence entre locataires. Reste donc à tomber sur un propriétaire sans a priori négatif sur sa situation familiale et être la première sur le coup.


 

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