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Pierre et Marc ont fait appel à une mère porteuse en Inde: "On avait peur que notre fille ne puisse pas venir en Belgique"

 
 

Le mariage homosexuel a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois en France et avec lui, le débat sur l'homoparentalité. En Belgique, une asbl milite pour le recours aux mères porteuses qui n'est pas interdit, mais pas autorisé non plus. Découragés par la lourdeur des procédures d'adoption, Pierre et Marc ont, eux, fait appel à une mère porteuse vivant en Inde.

Pierre et Marc ont 41 et 36 ans, vivent en Belgique et sont en couple depuis six ans. Après trois ans de vie commune, ils ont ressenti l’envie et le besoin d’avoir un enfant. Ils se sont alors renseignés, ont demandé conseil à des proches, pris de nombreuses informations sur internet et ont finalement décidé de faire appel à une mère porteuse en Inde. "Nous nous sommes rendus en Inde une première fois en 2009 et nous avons visité la clinique. Nous sommes ensuite retournés en juin 2012. Nous avons alors interviewé plusieurs femmes et notre choix s’est porté sur l’une d’elles qui parlait anglais. Le contact est très bien passé entre nous, elle semblait ouverte. Elle a d’ailleurs déjà fait un don de gestation", nous a expliqué Pierre. "En Inde, les femmes qui se proposent pour faire un don de gestation doivent être mariées ou divorcées et doivent déjà avoir eu au moins un enfant. Si la femme est toujours mariée, le mari doit être témoin de l’accord entre les deux parties. L'ovule doit également venir d'une donatrice tiers, la mère porteuse ne peut donc avoir aucun lien génétique avec l'enfant", a ajouté Pierre, énumérant quelques règles propres à la gestation pour autrui en Inde.

Ruée vers l’Inde pour la gestation pour autrui

Chaque année, plusieurs centaines de couples venant des quatre coins du monde se rendent en Inde pour faire appel à une mère porteuse. En deux ans, la gestation pour autrui (GPA) a d’ailleurs augmenté de 50% dans ce pays. Les couples choisissent l’Inde, car la GPA y coûte moins cher que dans d’autres pays comme aux Etats-Unis par exemple. Il faut compter entre 20.000 et 30.000 euros. La mère porteuse, elle, est payée entre 4.000 et 6.000 euros, soit trois à cinq fois le salaire annuel moyen en Inde. À New Delhi, il existe des dizaines de cliniques qui proposent la gestation pour autrui.

Aucune sécurité juridique: une pratique pas interdite, mais pas autorisée non plus

La gestation pour autrui, qui est interdite dans de nombreux pays d’Europe (voir liste en encadré), ne l’est pas en Belgique, mais n’est pas autorisée pour autant. Elle est dans ce que l’on appelle un vide juridique. Elle ne bénéficie donc d'aucune sécurité juridique, notamment en matière de filiation. Le couple qui fait appel à une mère porteuse n’est pas officiellement désigné comme parent, c’est automatiquement cette dernière qui est légalement reconnue mère. Le couple doit alors avoir recours à l’adoption. Ce vide juridique met l’enfant dans une position difficile. Si un différend apparaît entre la mère porteuse et le couple, l’enfant pourrait alors se retrouver pris en otage.

L'hôpital de la Citadelle reçoit de nombreuses demandes, mais aucune n'est acceptée

Actuellement, seul l’hôpital de la Citadelle à Liège autorise la gestation pour autrui pour les homosexuelles, dans le cas où les deux femmes seraient dans l’impossibilité physique de porter un enfant (maladie, malformation, stérilité,…). Le professeur Michel Dubois, directeur du Centre de Procréation Médicalement assistée de l'Université de Liège, joint par notre rédaction, nous a confirmé que leur service recevait beaucoup de demandes de couples homosexuels masculins concernant la gestation pour autrui, mais qu'à l'heure actuelle, aucune n'avait été acceptée. "Une commission d'éthique se réunira en septembre pour débattre de la possibilité d'accéder à la demande des couples homosexuels hommes, mais il faut que toutes les personnes du service soient d'accord", a-t-il ajouté. L'hôpital accepte toutefois d'effectuer des transferts de sperme vers des hôpitaux canadiens et américains pour que leurs patients ne doivent pas se déplacer jusque-là. Au contraire de Pierre et Marc, certains couples homosexuels ne souhaitent pas rencontrer la mère porteuse, ni avant ni après.

Quelques règles et conditions importantes

L’ASBL Homoparentalités s’est inspirée des règles en vigueur pour la gestation pour autrui en Inde pour rédiger un projet de texte de loi présenté à la presse à l'occasion de la dernière Belgian Lesbian & Gay Pride, fin mai. Joris Gilleir, président de l’ASBL, nous a résumé dans les grandes lignes ce texte de loi. Le don de gestation ne sera accordé que si les deux parties remplissent les conditions de base, comme le fait d’être majeur, d’avoir la capacité juridique, etc. Des centres de don de gestation doivent également être créés. Ils seront encadrés de manière  et devront également fournir un accompagnement médical, psychologique, social et juridique aux parents d’intention (le couple qui fait appel à une mère porteuse) et à la mère porteuse.

Une convention devra être signée par les deux parties

L’un des points les plus importants de ce texte de loi est la convention qui devra être obligatoirement signée par la donneuse, les parents d’intention et le centre de don de gestation. Cette convention comporte des aspects tels que les frais liés à la grossesse, la relation que la donneuse et les parents d’intention entretiendront (si les parents d’intention veulent que la donneuse soit impliquée dans la vie de l’enfant, qu’elle soit un genre de "tante", ou au contraire qu’elle ne soit pas présente,…). "Il faut qu’un équilibre entre les droits et les devoirs de chaque partie soit respecté", nous a indiqué le président.

Plusieurs projets de loi ont déjà été déposés, mais aucun n'a abouti

Des projets de loi concernant la gestion pour autrui et les mères porteuses ont déjà été déposés par des politiques, dont Philippe Mahoux, sénateur PS qui a déposé une proposition de loi visant à encadrer le recours à la maternité de substitution en 2011. "Lorsque le risque est trop important pour la mère et/ou l'enfant au cours de la grossesse, lorsqu'il existe une impossibilité physiologique à assumer ladite grossesse (dans le cas de couples homosexuels masculins par exemple), le recours à une maternité de substitution se justifie", indiquait M. Mahoux dans un communiqué. À l’époque un autre projet de loi, émanant de Christine Defraigne (MR) visait, lui, à énoncer une interdiction de principe de toute convention visant à réaliser une gestation pour autrui, "avec une exception quand un gynécologue constate par écrit que la femme du couple est dans l'impossibilité physiologique d'être enceinte de son mari ou concubin, ou se trouve confrontée au très grand risque qu'une grossesse ferait courir à sa propre santé ou à celle de l'enfant", précisait-elle. La chef de groupe MR au Sénat craignait en effet que la gestation pour autrui ne mène à une commercialisation du corps humain. Aucune de ces propositions n’a pour l’heure abouti. Le vide juridique est donc toujours bien présent. L’ASBL Homoparentalités espère que cette fois, le texte sera pris en compte et sera soumis au vote.

L'adoption légale, mais difficile, quasi impossible

Quand on demande à Pierre pourquoi il a choisi de faire appel à une mère porteuse plutôt que d’adopter, il répond du tac au tac : "Il est très dur pour un couple homosexuel d’adopter. Si c’est légal en théorie en Belgique, c’est plus difficile dans la pratique. Le nombre de tests est excessif. Il serait plus intéressant d’offrir un accompagnement plus adapté plutôt que de faire passer des batteries de tests." En effet, depuis que la loi sur l'adoption par des couples homosexuels a été adoptée en 2006, seuls sept couples homosexuels hommes ont adopté un enfant. Les couples homosexuels passent par la même procédure d’adoption que les couples hétérosexuels. Cette procédure compte plusieurs étapes, elle peut donc aller de quelques mois à deux ou trois ans. Mais les couples homosexuels rencontrent une difficulté supplémentaire: "Pour l'adoption internationale d'abord, car la plupart des pays qui donnent des enfants refusent de les placer dans des familles homoparentales. Pour l'adoption nationale ensuite, car les mères qui donnent leur enfant peuvent émettre des réticences à les voir confier à des couples de même sexe", peut-on lire sur le site arc-en-ciel Wallonie.be.

Certains couples homosexuels renoncent à se marier pour pouvoir adopter

Certains couples homosexuels renoncent même à se marier "pour permettre à l'un des conjoints d'entamer la procédure de demande d'adoption en tant que célibataire. Une fois l'enfant adopté par le premier conjoint, l'autre conjoint peut faire une demande d'adoption intrafamiliale", a indiqué en 2010 Didier Dehou, directeur de l'Autorité centrale communautaire (ACC), l'organisme de la Communauté française qui reçoit tous les projets d’adoption lors de la journée arc-en-ciel.

"Elle va très bien et elle est à Bruxelles!"

Pierre avait pu assister à une échographie lors d’un de ses voyages en Inde, mais le couple était anxieux. Ils avaient peur que l’arrivée de l’enfant en Belgique soit retardée, comme cela avait été le cas pour Peter et Laurent un couple belge dont l’enfant avait été bloqué en Ukraine, car le ministère des Affaires étrangères refusait de lui accorder la nationalité belge alors que Laurent était son père biologique. Heureusement pour eux, ils n'ont pas dû faire face à de tels problèmes. Leur petite fille est née prématurément il y a quatre semaines, elle a dûrester à l'hôpital pendant trois semaines pour recevoir des soins, mais est maintenant en pleine santé. "Elle va très bien et elle est à Bruxelles!", nous a confié un Pierre au comble du bonheur.


 

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