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Ils voudraient changer leur enfant d'école mais ne trouvent pas de place: "Notre enfant est condamné à aller dans une école qui ne lui apprend quasi rien"

Ils voudraient changer leur enfant d'école mais ne trouvent pas de place: "Notre enfant est condamné à aller dans une école qui ne lui apprend quasi rien"
Image d'illustration
 
 

En fin de première secondaire, l’école de Charlotte a recommandé à ses parents de changer leur enfant d’établissement. La quête d’une nouvelle école s’est avérée très difficile. Lionel, son père, met en question l’organisation de l'enseignement secondaire, notamment la limitation des redoublements visée et le pacte d’excellence.

Lionel, un père de famille habitant la Région bruxelloise, nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour mettre en lumière l’impasse dans laquelle, selon lui, se retrouvent certains élèves en difficulté. Il nous a racontés le cas de sa fille de 13 ans, Charlotte (nom d’emprunt). Celle-ci est atteinte du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage. Après avoir obtenu son CEB, ses parents l’ont inscrite en première secondaire dans une nouvelle école d’Auderghem dont la pédagogie originale leur avait semblé intéressante pour son développement.

L’expérience n’a pas été concluante et l’école leur a recommandé de changer d’établissement l’année prochaine. Lionel et sa femme Natacha ont entamé des recherches pour trouver une autre école où leur fille pourrait faire sa rentrée au mois de septembre. "Mais à Bruxelles, il n’y a plus de places en seconde. Beaucoup d'école sont trop remplies et ne remplacent même pas les départs", nous a écrit ce papa inquiet de voir son enfant "condamné à aller dans une école qui ne lui apprend quasi rien, et qui la conduira inexorablement à l'échec".


La méthode Freinet : une pédagogie originale, mais pas adaptée à Charlotte

Si sa première secondaire ne s'est pas bien passée sur le plan scolaire, Charlotte appréciait beaucoup cet établissement qui met en pratique une pédagogie innovante : la méthode Freinet. Mise au point par Célestin Freinet dans les années 20, cette pédagogie, toujours en évolution, cherche à mettre l’enfant au cœur de l’apprentissage en l’impliquant le plus possible dans le système d’enseignement. "Par exemple, pour le néerlandais, on leur donne un exercice et c’est à eux de trouver les règles de grammaire", raconte Lionel. "Des activités personnelles d'apprentissage, de recherche, de création et d'expérimentation" favorisent l’indépendance de l’élève, explique le site internet de l’école. Pas de notes ni d’interrogations, mais des dialogues d’évaluations. Pas non plus de devoirs à la maison : tout se passe à l’école.

"On avait entendu parler de cette nouvelle école où les enfants travaillent beaucoup sur l’autonomie, un des points faibles de notre enfant", raconte Lionel. "On a rencontré la directrice et elle trouvait que c’était une bonne idée. Alors on a fait le pari." Charlotte a bénéficié d’un projet d’intégration scolaire : la Communauté Française lui a octroyé l’aide d’une école spécialisée dans la pédagogie adaptée aux enfants autistes pour l’accompagner dans son intégration en milieu scolaire ordinaire. Deux fois deux heures par semaine, un professeur de l’école des 4 vents est venu lui apporter son soutien cette année.

En décembre 2015, les services d’accompagnement de l’école des 4 vents ont informé Lionel et Natacha que l’enseignement dispensé dans cette école d’Auderghem n’était pas adapté à Charlotte. "Ils pensaient que notre fille n’était pas bien là et ils ont un peu abandonné", raconte-t-il. Charlotte a besoin de structures, et cette nouvelle école ne lui en offraient pas assez, analyse-t-il. "Un des défauts de Freinet, c’est que tout doit se passer à l’école et donc les parents ont très peu de vue sur ce qui se passe", explique le papa de l’adolescente. "Il y a pas mal d’élèves qui sont partis parce qu’ils ne s’adaptaient pas à la méthode", note-t-il.


Charlotte passe en deuxième secondaire alors qu’elle n’a "pas acquis ce qu’il fallait"

Malgré une année insatisfaisante, Charlotte a reçu une attestation A, lui permettant de passer en deuxième secondaire. "L’école m’a dit qu’elle n’avait pas acquis ce qu’il fallait", rapporte pourtant son père. "Tout le monde doit réussir", constate-t-il. Estimant qu’un redoublement aurait pu être bénéfique, il a demandé à la communauté française une dérogation. Elle leur a été refusée. En effet, les possibilités de redoublement sont très amoindries en première secondaire en vertu d’un décret de juin 2006, modifié en avril 2014.

Ce décret précise que "l'élève ne peut redoubler aucune année constitutive du premier degré commun ou du premier degré différencié, sauf dérogation accordée par le Gouvernement en cas d'absence motivée de longue durée". Un motif pédagogique seul ne peut donc être invoqué afin de solliciter le redoublement d’une année d’études, nous a expliqué le service communication de l'administration générale de l'Enseignement. L’octroi d’une dérogation n’est envisageable que si l’élève a été absent pendant une longue période au cours de l’année scolaire précédente.


Son père vante les mérites du redoublement, mais celui-ci n’est plus à l’ordre du jour

Le père de Charlotte s’interroge sur la pertinence du passage automatique de tous les élèves à la classe supérieure. "Le redoublement peut être intéressant", affirme-t-il. L’élève peut décrocher pour de multiples raisons, explique-t-il : "difficulté familiale, passage à l'adolescence compliqué, pédagogie de l'école qui ne lui convient pas, drame dans l'entourage, difficulté attentionnelle…", énumère-t-il. "Dès qu’il a une difficulté, l’enfant se retrouve à un mur et il n’existe plus rien pour l’aider", juge-t-il.

Si le redoublement de Charlotte n’est pas possible cette année, son attestation de passage dans la classe supérieure comporte la mention "avec PIA". "Personne ne nous a expliqué ce que c’était", déplore Lionel qui pensait qu’il s’agissait simplement de la suite du plan d’intégration dont bénéficie sa fille (en raison de son autisme léger). En réalité, le plan individualisé d'apprentissage est un outil pédagogique élaboré par le conseil de classe à l'intention d'un élève qui connaît des retards dans l'acquisition des compétences attendues. Le service communication de l'administration générale de l'Enseignement explique que, lorsque le conseil de classe constate des difficultés d’apprentissage concernant un élève en fin de 1ère année commune, le conseil de classe de la 2ème année commune peut proposer ce plan : "Le PIA s'appuie sur un outil co-construit par l'équipe éducative et l'équipe de direction en vue de prendre en compte, d'une part, des difficultés particulières d'apprentissage et, d'autre part, des besoins spécifiques des élèves issus de l'enseignement spécialisé ou en intégration", peut-on lire dans l’article 7bis du même décret.

Dans le cadre de ce PIA, Charlotte pourrait être amenée à suivre une année complémentaire (2S) au terme de la deuxième année du secondaire.


Il accuse le pacte d’excellence d’exclure l’enfant en difficulté

Lionel met en cause le pacte pour un enseignement d’excellence, ce vaste brainstorming sur le système éducatif initié par Joëlle Milquet en janvier 2015. "Magie de l'excellence, tous les enfants en fin de première secondaire réussissent, un peu comme à l'école des fans", ironise Lionel. "Le pacte d'excellence porte bien son nom, tout est fait pour l'enfant qui n'a aucune difficulté, pour lui tout va bien. Par contre, pour tous ceux qui rencontreraient le moindre problème, ce sera le pacte d'exclusion", estime-t-il.

Au départ, le pacte d’excellence a été créé pour répondre à plusieurs constats d’échec : le manque de maîtrise des savoirs et compétences par une partie des élèves, un taux de décrochage scolaire anormalement élevé, un taux d'échec et de redoublement trop important ainsi que l'inégalité du système scolaire. Le pacte cherche à "adapter l’enseignement au 21ème siècle" dans une démarche qui se veut la plus participative possible, en impliquant différents acteurs du monde scolaire : enseignants, syndicats, monde associatif, fédérations des entrepreneurs… Le Groupe central, chargé d’assurer le suivi de l’élaboration et de l’exécution concrète du Pacte, a synthétisé les propositions des groupes de travail et proposé au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles un texte de 120 pages de conclusions et recommandations.

Ces propositions visent à rendre l'école francophone plus efficace et moins inégalitaire grâce à une meilleure gouvernance des établissements, un plus grand soutien aux directeurs, un meilleur accompagnement des profs débutants, un rallongement du tronc commun, la révision des rythmes scolaires, la formation au numérique, etc. Concrètement, le pacte envisage un tronc commun de la maternelle jusqu’à la fin de la 3ème secondaire, sans redoublement "sauf exception dûment motivées". Le CEB de 6ème primaire n’aurait plus qu’une valeur indicative. Les journées scolaires seraient allongées d’1h ou 1h30 et les vacances de la Toussaint passeraient à deux semaines au lieu d’une. Un nouveau cours de philosophie et citoyenneté (EPC) sera mis en œuvre dans l'enseignement primaire officiel dès la rentrée scolaire prochaine.


"On n’a jamais parlé d’interdire le redoublement, on a simplement dit qu’il fallait le limiter"

Depuis la démission en avril 2016 de Joëlle Milquet de ses fonctions de ministre de l'Enseignement et de la Culture, Marie-Martine Schyns est en charge de concrétiser le Pacte en concertation avec les acteurs de terrain. Elle insiste pour que le pacte soit appréhendé comme un projet global, et non comme une série de mesures indépendantes. Mais certaines mesures font couler plus d’encre que d’autres. C’est le cas de l’idée d’un tronc commun sans redoublement qui ferait l’objet d’une "mauvaise interprétation", selon la ministre de l'Enseignement obligatoire. "On n’a jamais parlé d’interdire le redoublement, on a simplement dit qu’il fallait le limiter. Pourquoi ? Parce qu’on est le pays qui redouble le plus. Et cela n’a jamais été démontré comme étant efficace", déclarait-elle sur les ondes de Bel RTL le 2 mai 2016.

En effet, la Belgique est le pays de l’OCDE où il y a le plus grand pourcentage de redoublement. A 15 ans, 55 % des élèves ont un retard scolaire d'au moins un an en Fédération Wallonie Bruxelles, contre 13% en moyenne dans les pays de l’OCDE, selon les chiffres PISA. Si l’objectif est bien d’améliorer ces statistiques, les experts du Pacte n’envisagent pas pour autant de supprimer toute possibilité de redoublement. "Il s’agit très clairement d’associer à l’implémentation du tronc commun revisité un objectif ambitieux de réduction du redoublement qui s’accompagne d’une attention accrue aux acquis et aux progrès des élèves. Dans ce cadre, des outils d’évaluation diagnostique doivent donc être développés tout au long du tronc commun pour ne pas laisser évoluer les enfants dans leurs parcours sans remédier directement aux difficultés constatées", peut-on lire dans le deuxième rapport du groupe central.


Moins de redoublement pour "faire des économies" ?

"Si cela fait faire des économies au gouvernement, certains pourraient penser que le sacrifice des plus faibles en vaut la peine", regrette le père de Charlotte en conclusion du message qu’il nous a envoyé. En effet, le redoublement d’un élève génère un coût : le financement d’une année supplémentaire de formation, mais aussi le coût pour la société de retarder d’au moins un an l’entrée de cet élève sur le marché du travail. Mais la ministre de l’Enseignement prétend ne pas s’inscrire dans cette démarche : "Vous pensez bien que si l’ambition ça avait été de niveler par le bas ou de faire des économies, ce processus serait déjà éteint", a-t-elle déclaré sur Bel RTL. A cet égard, l'opposition, qu'elle soit MR, Ecolo ou Défi, ne manque pas de pointer du doigt les importants moyens financiers qui devront être mobilisés pour mettre en œuvre la réforme.


Charlotte a finalement une place dans une autre école

Quand Lionel nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous, ses recherches d’une nouvelle école pour sa fille n’avaient pas abouti. Mais lors de notre entretien, le père de famille nous a raconté avoir enfin trouvé une place dans une école pas très loin de chez eux. "On s’est adressé à une dizaine d’école sans préciser les soucis de ma fille", raconte-t-il. Ce n’est pas à cause de son autisme qu’elle ne trouvait pas de place, tient-il à préciser. "Le seul problème, c’est qu’à partir de la troisième, cette école devient technique", regrette-t-il. Ses recherches devront donc sans doute reprendre l’année prochaine. "Il faut vraiment bien choisir la première école parce que sinon les gros problèmes arrivent par la suite", met-il en garde. Cet été, Lionel et sa femme font étudier leur fille pour que sa rentrée dans sa nouvelle école se passe dans les meilleures conditions possibles.


 

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