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Daniel a fait du démarchage téléphonique pour des fournisseurs d’énergie: "Il fallait faire 10 à 15 contrats minimum"

Daniel a fait du démarchage téléphonique pour des fournisseurs d’énergie: "Il fallait faire 10 à 15 contrats minimum"
 
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Le démarchage téléphonique est une pratique courante dans de nombreuses sociétés. Daniel a travaillé en tant que téléopérateur pour des sous-traitants qui avaient un contrat avec des fournisseurs d’énergie bien connus. Il affirme qu'il devait forcer la main des clients qu’il avait au téléphone et subissait une pression continue sur son lieu de travail. Des mécanismes de contrôle sont pourtant mis en place pour éviter ce genre de situation, selon Engie Electrabel et Lampiris.

Daniel (prénom d’emprunt car il souhaite garder l'anonymat) habite Seraing. Il a travaillé pendant un an et demi, en 2016 et 2017, en tant que démarcheur téléphonique pour des sociétés sous-traitantes qui opéraient pour le compte des fournisseurs d'énergie Lampiris et Engie Electrabel. C’est en lisant un article sur RTLinfo.be qu’il a voulu réagir en appuyant sur le bouton orange Alertez-nous. Notre article racontait l’histoire de Céline, qui se plaignait d’avoir été abusée par un collaborateur téléphonique d’Engie Electrabel: on avait modifié son contrat sans son accord. Pour Daniel, qui connait donc bien le secteur, la pratique est tout à fait courante. Il décrit sa propre expérience: "Il y avait un script bien établi. Je devais faire miroiter des économies sur la facture d’énergie et expliquer les promotions actuelles. Et ensuite, il suffisait de proposer une offre qui se transformait en contrat par la suite. Très peu de contrats étaient annulés."


"C’était de la poudre aux yeux"

Transformer la vérité serait devenu son quotidien: "Vous deviez mentir sur les prix, tricher sur le montant des acomptes. C’était de la poudre aux yeux", affirme-t-il.

Lorsqu’un contrat est conclu par téléphone, les clients ont un délai légal de 14 jours pour se rétracter et le faire annuler. Mais souvent il est trop tard: "C’est seulement quand le client reçoit la facture et la régularisation qu’il se rend compte qu’il a été arnaqué. Et le délai est déjà passé depuis bien longtemps", assure l'alerteur.

Commercial de profession, Daniel avait choisi ce poste d’intérimaire car il souhaitait avoir un salaire fixe et des week-ends en famille. Mais ce travail l’a totalement dégoûté: "Il fallait quasiment forcer la main des personnes que vous aviez en ligne, je ne me reconnaissais pas vraiment dans ce genre de pratiques."

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Entre 300 et 400 appels par jour

Daniel dénonce également une pression très forte, qu’il devait subir au quotidien. "J’avais un salaire fixe, mais avec des primes en fonction des contrats qui étaient faits. Mais si vous n’aviez pas atteint vos objectifs vous étiez très vite expulsé", raconte-t-il.

Son temps de travail était très réglementé: 8 heures de boulot, une demi-heure pour manger, et deux fois 15 minutes de pause. Les objectifs sont très clairement définis dès le début: "L’ordinateur appelait tout seul et j’avais en moyenne entre 300 et 400 appels par jour", décrit-il. "Il y a beaucoup de refus, mais quand vous aviez une personne qui restait en ligne, vous deviez la convaincre, puisqu’il fallait faire 10 à 15 contrats minimum. Et si vous n’y arriviez pas, vous ne receviez pas vos primes".

Il y a un va-et-vient perpétuel au niveau du personnel intérimaire dans ce genre de sociétés

"C’est typique du secteur du démarchage"

Cette constatation n’étonne pas Valérie Denis, la porte-parole de Tempo Team: "Il faut une grande résistance au stress, vu le nombre d’appels à gérer. Il y a les quotas puis, aussi, le fait que les gens qu’on a au téléphone ne sont pas toujours très sympathiques".

À chaque arrêt volontaire de l’intérimaire, c’est d'ailleurs souvent le stress qui est évoqué. "C’est typique du secteur du démarchage téléphonique pour des sociétés de télécommunications ou pour des fournisseurs d’énergie", ajoute-t-elle.

Le taux de turnover, très important, montre le caractère instable de la profession. "J’ai vu défiler pas mal de personnes", confirme notre alerteur, "il y a un va-et-vient perpétuel au niveau du personnel intérimaire dans ce genre de sociétés". Le souhait de départ de l'intérimaire ne constitue pas la seule raison possible de l’interruption du contrat. "Si par exemple le client du call-center décide d’arrêter la collaboration, les démarcheurs doivent être licenciés, car on n’a plus besoin d’eux", détaille Valérie Denis de Tempo Team. "Mais si la société de sous-traitance décroche un nouveau contrat la semaine suivante, il faut à nouveau engager des gens", ajoute-t-elle. 

Pourtant, de tels postes attirent toujours des intérimaires. "En général, les profils sont souvent similaires", précise-t-elle. "Ce sont généralement des jeunes qui font ça pour mettre du beurre dans les épinards. Mais ils ne se rendent pas compte du stress que ça peut engendrer".

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"C’est un mode de vente relativement limité"

Du côté des fournisseurs d’énergie, on assure contrôler la situation. "On fait parfois appel à des sociétés de sous-traitance. Mais c’est un mode de vente relativement limité chez nous. C’est plutôt le contact direct qui est privilégié", se défend Olivier Lechien, le porte-parole de Lampiris. "Nous avons la volonté de travailler avec du staff local pour assurer une proximité. On collabore notamment avec Callexcell, Ikanbi et IPG. Les trois sociétés sont situées dans la région de Liège ou du Limbourg", poursuit-il.

Mais le porte-parole le reconnait, il s’agit d’un domaine délicat, car le secteur emploie beaucoup d’intérimaires, et une partie de leur rémunération est liée au succès.


"Une pratique tout à fait courante"

Chez Engie Electrabel, on confirme aussi collaborer avec des sociétés extérieures. "On travaille notamment avec des sous-traitants locaux pour ce genre d’appels", détaille Anne-Sophie Hugé, la porte-parole de l’entreprise. Mais ce n’est pas le principal canal utilisé. "La toute grande majorité des gens qui prennent contact par téléphone sont des personnes qui sont sous la responsabilité de notre propre contact center". Engie Electrabel a également recours à de la sous-traitance pour le porte-à-porte, et travaille pour cela avec une... dizaine de sociétés. Les prestataires sont dans ce cas rémunérés en fonction du nombre de contrats. "Une pratique tout à fait courante", insiste Anne-Sophie Hugé. "Mais nous n'exerçons aucune pression sur qui que ce soit. Tout est fait pour que ce soit conforme à nos règles".


Des règles de bonne conduite

Pour tenter d’éviter tout dérapage, les fournisseurs mettent en place toute une série d’objectifs lorsqu'ils travaillent avec des sous-traitants. "Des objectifs commerciaux quantitatifs, mais aussi des objectifs qualitatifs", détaille Olivier Lechien de Lampiris. Des membres de l’équipe se rendent également au sein-même des centres de télémarketing avec lesquels ils travaillent. "Il y a une présence régulière de Lampiris sur le plateau des vendeurs pour donner des infos complémentaires. Il y a aussi des formations et du dialogue".

On présente aussi un code de conduite très strict chez Engie Electrabel, selon sa porte-parole. "Il s’applique aux gens qui, au nom de notre société, s’adressent à nos clients. Bien entendu, nous ne sommes pas l’employeur de ces personnes. Si on devait constater que ce n’est pas respecté, on prend contact avec la société qui les emploie".

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Des processus de qualité

Il y a aussi des contrôles a posteriori, pour vérifier que tout s’est bien passé avec le client. "Avec une réécoute des appels, qui permet de vérifier que tout s’est passé selon les processus de qualité qui ont été définis", détaille Olivier Lechien de Lampiris. Et si des problèmes apparaissent… "On remet les choses au point, souvent ce sont des malentendus. Mais parfois ça peut être plus sévère, jusqu’à des mises à pied".

Reste qu'une pression excessive du résultat entretient le risque qu'un opérateur prenne un risque et fasse preuve de malhonnêteté pour toucher une prime plus importante ou atteindre son quota minimum. "Si la société de sous-traitance n’atteignait pas ses objectifs, elle perdait le contrat", déclare Daniel. La responsabilité est donc clairement partagée par les fournisseurs énergie/télécom et leurs sociétés sous-traitantes.

Pour Daniel, l'aventure s'est soldée par un burn-out: "Je n’en pouvais plus", dit-il. Depuis lors, Daniel s’est refait une santé, et il a recommencé à travailler pour son propre compte.


 

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