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"Effrayés, mes arrière-grands-parents ont fui la Belgique en 40" : des souvenirs réveillés changent l’avis de David sur les migrants

"Effrayés, mes arrière-grands-parents ont fui la Belgique en 40" : des souvenirs réveillés changent l’avis de David sur les migrants
 
 

Totalement opposé à l’arrivée des réfugiés, David a changé de regard après s’être replongé dans les vieux souvenirs de famille. Au début de la deuxième guerre mondiale, ses arrière-grands-parents ont fui la Belgique pour se réfugier à Londres. En revivant cette histoire, ce Carolo d’origine y a vu des similitudes avec la situation actuelle vécue par les migrants. Et aujourd’hui, il plaide au contraire pour un accueil respectueux de ces personnes déracinées.

L’arrivée actuelle des réfugiés dans notre pays ne laisse personne indifférent. D’un côté, des citoyens font preuve de solidarité pour les accueillir dans des conditions plus humaines. De l’autre, certains Belges expriment des réactions négatives face à cette situation. Qui va payer pour eux ? Ne vont-ils pas prendre nos jobs ? Les craintes alimentent certaines discussions.


"Cela m’a fait penser à l’histoire que ma famille a vécue en 40-45"

En revenant de ses vacances fin août, David, un promoteur immobilier habitant dans le Namurois, se pose ce genre de questions, en découvrant cette fuite de migrants vers l’Europe. "Honnêtement, je me suis dit qu’ils étaient beaucoup trop nombreux et que finalement c'était encore les citoyens belges qui allaient payer pour tous ces gens qui allaient profiter du système. C’était la première pensée que j’ai eue, ne sachant pas vraiment ce qu’il y avait autour. Je n’avais pas suivi l’actualité. Du coup, je ne savais même pas d’où ils venaient en fait", admet ce père de famille de 39 ans, originaire de Charleroi.

Cette opposition spontanée est donc basée sur des croyances, sans connaître la réalité et les circonstances de ces départs périlleux. "Par la suite, je me suis informé et je me suis rendu compte qu’ils partaient parce qu’ils fuyaient la guerre tout simplement. Et cela m’a fait penser à l’histoire que ma famille a vécue durant la deuxième guerre mondiale", relate David, qui nous a contactés via notre page Alertez-nous pour raviver cette époque de l’histoire particulièrement douloureuse.


"Ils n’ont pas arrêté de fuir dans ma famille"

En mai 1940, les troupes allemandes lancent une grande offensive contre la France, les Pays-Bas et la Belgique. Joséphine et Jules, ses arrière-grands-parents, décident alors de quitter leur nid familial à Charleroi et se lancent dans un périple vers l’Angleterre. Leur fils, Désiré, est alors âgé de 18 ans. Le jeune homme n’est pas présent au moment du départ, car il s’est engagé dans l’armée comme volontaire de guerre. "Je n’ai pas connu mes arrière-grands-parents. C’est mon grand-père Désiré, décédé il y a 10 ans, qui m’a expliqué cette période de la guerre. Il m’a laissé de nombreux témoignages de l’époque, comme des cartes postales et des documents administratifs qu’il conservait précieusement", indique David, qui a des origines variées.

L’immigration fait en effet partie de son histoire familiale. Les parents de Joséphine, son arrière-grand-mère, avaient quitté l’Italie pour la Belgique. "Son père était italien et sa mère française. Et elle est née dans le nord de la France, lors de ce voyage", relate le Namurois. Du côté paternel, c’est pour fuir le régime autoritaire de Franco que ses aïeux ont émigré d’Espagne. "Ils n’ont donc pas arrêté de fuir dans ma famille", résume-t-il.


 Désiré, Joséphine et Jules Degelaen

Avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, Joséphine et Jules vivent dans une maison entre Jumet et Roux. Elle travaille comme ouvrière dans les mines. Lui comme mécanicien pour les chemins de fer. Il chante et compose également des chansons pour l’opéra. En mai 1940, l’annonce de l’invasion allemande les effraye et réveille des souvenirs traumatisants. Comme de nombreux Belges ayant vécu la guerre 14-18, ils craignent de revivre les atrocités allemandes commises sur des milliers de civils. Par peur, le couple décide de tout quitter pour se réfugier dans un pays inconnu.


"C’était vraiment le chaos, surtout dans ce contexte de guerre"

"On a vu l’invasion allemande arriver car au mois de février 1940, le gouvernement belge de l’époque avait déjà rédigé des directives pour demander aux citoyens de rester chez eux, en cas d’attaque. Et ce pour éviter une fuite massive incontrôlable. Mais, c’est justement ce qui s’est produit. Les gens n’ont pas tenu compte de cela. C’est normal. Le réflexe humain l’a emporté car il y avait le souvenir des atrocités commises par les Allemands lors de la première guerre mondiale, lorsque 6.000 civils ont été massacrés. Au total, en mai 1940, deux millions de personnes sont ainsi parties sur les routes, principalement vers la France, mais aussi vers l’Angleterre", indique Jean-Michel Sterkendries, professeur d’histoire à l’Ecole Royale Militaire.

"C’était vraiment le chaos, surtout dans ce contexte de guerre. Vous devez imaginer des milliers de personnes sur les routes et des troupes de soldats circulant à contre-courant de ce flot de réfugiés. Sans oublier les bombardements", ajoute l’historien.

Un départ précipité de Charleroi vers Londres

Contrairement à la majorité de leurs compatriotes, Jules et Joséphine choisissent de se diriger non pas vers l’Hexagone, mais vers la Flandre. "Ils sont partis précipitamment de Charleroi avec plusieurs voisins. Un voyage assez long. Ils ont d’abord utilisé une charrette avec un cheval, puis ont pris le train. Leur but était d’atteindre Ostende, où ils espéraient retrouver leur fils unique, qui avait décidé contre leur volonté de se battre dans l’armée", raconte David. Leur espoir est vain. Désiré n’est pas là. Alors que ses parents fuient, le jeune homme fait le choix de se battre, en devenant résistant et puis volontaire de guerre. Sans leur fils, Jules et Joséphine embarquent alors sur un bateau pour traverser la Manche. Une fois arrivés à Londres, ils comprennent seulement que Désiré n’a pas voulu les suivre. "Ils l’ont donc laissé en Belgique à contrecœur et se sont retrouvés en Angleterre, où ils ont dû se débrouiller", souligne le promoteur immobilier.

Pour de nombreux Belges, cet exode massif est de courte durée. Ils sont en effet nombreux à rebrousser chemin, une fois leurs craintes apaisées. Pendant la deuxième guerre mondiale, le comportement des troupes allemandes n’est plus hostile. "Les Allemands n’ont quasiment pas commis d’atrocités comme en 14-18 car les soldats ont reçu l’ordre de respecter les conventions de Genève. Il n’y a eu qu’une ou deux bavures fin mai. Après les capitulations de la Belgique et de la France, les grands retours se sont donc amorcés dès début juin 40. D’autant plus que les Allemands les favorisaient et les encourageaient", indique Jean-Michel Sterkendries.

Jules et Joséphine, eux, semblent préférer rester dans leur nouveau pays d’accueil, en attendant la fin des conflits. Ils s’installent donc dans une maison au cœur de la capitale anglaise."Mon arrière-grand-mère a trouvé un travail dans un hôtel, où elle a été employée pendant toute la guerre (ndlr: de mars 41 à fin juin 45). Mon arrière-grand-père travaillait lui à l’Opéra de Londres. Cela s’est donc bien passé pour eux puisqu’ils ont trouvé un travail rapidement", souligne David.


Une séparation forcée et douloureuse

La plus grande difficulté pour eux, c’est la séparation forcée avec leur fils Désiré. "Ils ont eu des contacts pendant l’occupation allemande car je possède des courriers qu’ils s’envoyaient. Mon arrière-grand-père écrivait à son fils en disant que tout allait bien. C’était une correspondance classique", révèle le promoteur immobilier.

Jules et Joséphine apprennent ainsi que Désiré se marie en 1943 à Roux. L’élue de son cœur s’appelle Raymonde. De leur amour naît une petite fille quelques années plus tard: Julienne, la maman de David.

"Mon grand-père s’est battu en Belgique et en Allemagne. La séparation avec ses parents l’a endurci énormément parce qu’il s’est retrouvé du jour au lendemain dans la vie d’adulte. J’imagine ce que cela pouvait être dans les années 40. Il a d’abord été résistant, puis il a été arrêté. Il s’est ensuite évadé avant de devenir soldat volontaire par ordre de la résistance pour aller faire une mission de sabotage en Allemagne. Heureusement, il a survécu. Et il a reçu de nombreuses médailles pour ses actes héroïques", affirme David.


 

Joséphine revient avec les cendres de son mari

A la fin de la guerre, Joséphine décide de rentrer au pays après un exil de cinq ans. Son employeur anglais lui donne alors une lettre de recommandation. Rapatriée, elle revient avec les cendres de son mari.

"Il est décédé à Londres d’une pneumonie et, donc, mon grand-père ne l’a plus jamais revu", regrette David. Les retrouvailles entre mère et fils sont un moment fort. D’autant plus que la guerre a transformé Désiré.

"Mon grand-père avait beaucoup changé. Comme il avait été arrêté par la Gestapo, questionné et torturé, il avait perdu tous ses cheveux. Il nous montrait souvent des photos avant/après et, en cinq ans, c’était le jour et la nuit. Il avait de nombreuses cicatrices à cause des coups. Cela l’avait vraiment marqué." Après la guerre, Désiré devient moniteur national belge de boxe. "Il a eu une carrière phénoménale. Il a fait les JO en tant que manager en 1960 à Rome, où il a rencontré Mohammed Ali. C’était quelqu’un d’exceptionnel avec un caractère fort", affirme avec fierté David.


 

"C’est la même chose qui se passe à présent, sauf que c’est en Syrie"

Aujourd’hui, les récits de son grand-père lui reviennent en tête. Le père de famille fait un parallèle avec la situation vécue actuellement par les réfugiés qui fuient des pays en guerre. "C’est la même chose qui se passe à présent, sauf que c’est en Syrie. Parmi tous ces migrants, il y a certainement des gens qui n’avaient pas envie de partir, qui ont laissé de la famille sur place et qui un jour peut-être retourneront chez eux. Il y a des gens qui mourront ici, d’autres qui resteront. Je me dis que si cela nous arrivait encore en Belgique, nous serions bien contents de pouvoir être accueillis autre part", espère le trentenaire.

Ce rapprochement entre deux situations comparables est tout à fait naturel, selon Jean-Michel Sterkendries. "Quand il y a une grande vague de réfugiés, ce sont les mêmes raisonnements qui apparaissent. Moi-même, j’ai pensé à ma famille originaire aussi de Charleroi qui a participé à cet exode. Ils ont été contents d’être recueillis par des personnes qui ne les connaissaient pas. On porte un autre regard sur l’actualité quand on pense au passé. On peut les voir arriver d’un drôle d’œil, mais c’est un réflexe humain de partir. Ces personnes ont tout simplement peur d’être tuées", souligne le professeur d’histoire à l’Ecole Royale Militaire.


Certains réfugiés traités de "fucking Belgians"

Par ailleurs, l’historien souligne que l’appréciation d’une telle situation est fortement liée à la situation socio-économique d’un pays. "Un cas n’est pas l’autre. Si les réfugiés s’intègrent et trouvent un emploi, en général cela ne pose pas de souci. Mais si la population a l’impression qu’ils s’incrustent alors que la situation est déjà difficile, les sentiments changent et évoluent très vite", indique-t-il.

"En 14, les réfugiés belges ont été relativement bien accueillis en Angleterre, surtout que notre pays jouissait d’un certain prestige. En 40, le nombre de réfugiés n’était pas très élevé. A l’époque, en Grande-Bretagne, les habitants étaient confrontés à un rationnement sévère. Certains Belges sont donc revenus en disant qu’ils avaient été bien soutenus et qu’ils voulaient même faire partie du Commonwealth. D’autres ont vécu des expériences plus difficiles, voire traumatisantes. Certains affirment par exemple avoir été traités de fucking Belgians", assure le professeur d’histoire.

Pour éviter aux réfugiés de vivre ce genre de difficultés, David lance donc un appel aux citoyens belges, en leur demandant de faire preuve de compréhension, de respect et de solidarité. Et de se souvenir du passé. De notre passé. "C’est essentiel, et ce n’est pas si loin en fait."

Julie Duynstee


 

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