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Champignons hallucinogènes, ecstasy, LSD: faut-il permettre leur utilisation pour traiter les troubles psychiatriques?

Champignons hallucinogènes, ecstasy, LSD: faut-il permettre leur utilisation pour traiter les troubles psychiatriques?
 
 

Longtemps écartées du champ médical, les substances psychédéliques sont réévaluées pour leur potentiel thérapeutique dans plusieurs pays, mais pas en Belgique. Des études suggèrent qu’elles pourraient être utilisés pour soulager certaines formes de dépression ou d’anxiété.

Délaissées par la recherche pendant 40 ans, les substances psychédéliques font l'objet de plus en plus d'études scientifiques concernant leurs possibles effets psychothérapeutiques. Depuis le début des années 2000, ces substances ont amorcé un retour dans le champ de la psychiatrie en Suisse, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Belgique, la Psychedelic Society Belgium, créée fin 2020, plaide pour la création d'un cadre juridique qui permettrait l'usage sécurisé et thérapeutique de ces substances. Mathieu (prénom d'emprunt car il souhaite garder l'anonymat), lui, n'a pas attendu. Ce jeune trentenaire de Tubize a tenté l'expérience du "trip médical" par ses propres moyens. "Depuis je n'ai plus aucune sensation de mal-être ni d'état dépressif", assure-t-il via le bouton orange Alertez-nous.

Mathieu convaincu des bienfaits de son expérience interdite

Mathieu confie avoir été, dès l'enfance, "dépressif chronique". Des idées noires dont il ne s'est jamais défait jusqu'à il y a quelques mois. "Tout cela a disparu en une nuit", affirme-t-il. "Je me suis couché dans une pièce avec une bonne ambiance tamisée. Et j'ai pris une 1500mcg de LSD", raconte-t-il. Depuis lors, le jeune homme affirme se sentir revivre, parlant même d’un "reboot" de son cerveau, comme un ordinateur bloqué qu'on aurait redémarré. Enthousiaste quant à son expérience, il veut croire que les psychédéliques sont appelés à jouer un rôle important dans la prise en charge de la dépression.

Mais en Belgique, toutes les substances psychédéliques sont interdites à la consommation, même dans un cadre thérapeutique. Depuis 1921, la loi concernant "le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques" régule toujours les drogues dans le royaume. Les substances psychédéliques font partie des psychotropes. En 1971, en ratifiant la convention sur les substances psychotropes, l’ONU vise plus précisément ces nouvelles substances synthétiques — LSD, psilocybine, MDMA… — et en organise un contrôle très strict.

Des substances étudiées sans tabou dans les années 50

Albert Hofmann, chimiste suisse, découvre le LSD (le diéthylamide de l'acide lysergique) en en absorbant par accident en 1943. Entre 1947 et 1966, le laboratoire Sandoz, pour lequel il travaille, le produit pour le corps médical et l'armée américaine. En 1958, Albert Hofmann isole la psilocybine, l'ingrédient actif présent dans les champignons hallucinogènes. À cette époque, de nombreuses études sont menées en Suisse, aux Etats-Unis et au Canada sur le LSD. Il suffit de commander au laboratoire Sandoz ce médicament vendu en comprimés ou ampoules sous le nom de Delysid. Le psychiatre britannique Humphry Osmond obtient des résultats encourageants quant à son utilité contre l'alcoolisme. C'est lui qui a créé en 1956 le mot "psychédélique" pour décrire les effets du LSD, de la mescaline et la psilocybine. Il s'agit d'un mélange des mots grecs psyche (l'âme) et delos (rendre visible) : ce qui rend visible l'âme.

Drogues "psychédéliques" : de quoi parle-t-on ?

À psychédélique, le professeur Duez, chef du service de Chimie Thérapeutique et Pharmacognosie de l’Université de Mons, préfère le terme "hallucinogène". "Ce sont des composés chimiques qui, à doses considérées non toxiques, induisent des modifications de perception, de pensée, d'humeur mais qui produisent rarement de la confusion mentale, des pertes de mémoire ou de la désorientation", explique-t-il. "Il y a de nombreux types d'hallucinations, poursuit-il. Les plus connues sont des hallucinations visuelles, souvent colorées ; mais tous les sens peuvent être sujets à des hallucinations : elles peuvent toucher l'audition ou les sens tactile, olfactif, gustatif".

Des substances tombées en disgrâce à la fin des années 60

Au milieu des années 60, le LSD devient une drogue à la mode parmi la jeunesse occidentale. Il circule dans les festivals, les communautés hippies, le show-business… Rockeurs, acteurs, poètes ou psychologues en recommandent l’usage pour ouvrir les portes de la perception. Le LSD est devenu un symbole des mouvements de contre-culture, des beatniks, des étudiants protestataires (notamment contre la guerre au Vietnam). En 1968, Nixon est élu président aux États-Unis alors qu’il a fait de la drogue un thème important de sa campagne. La convention sur les substances psychotropes votée à l’ONU en 1971 a finalement sonné la fin de la récréation. Suite à l’interdiction d’une longue liste de drogues de synthèse en 1971, les recherches sur la thérapie psychédélique s’arrêtent.

Ces recherches présentaient-elles des dangers ? "Non, en fait c'est une peur 'morale' devant la circulation non contrôlée de substances hallucinogènes (LSD notamment) qui a motivé un contrôle international très strict à partir de 1971, estime le professeur Duez. Au point que leur utilisation extrêmement réglementée a probablement découragé les expérimentations". Le spécialiste fait le rapprochement avec la recherche sur le cannabis, "entravée pendant plusieurs décennies".

En dehors de nos frontières, la renaissance de la recherche médicale autour des molécules psychédéliques 

Un renouveau des études psychédéliques s'est amorcé au début des années 2000 en Suisse, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Belgique, la recherche sur ces substances est au point mort. La Psychedelic Society Belgium - un collectif de psychologues, de thérapeutes, de prestataires de soins de santé, de juristes - a été créée fin 2020 pour sensibiliser la société à l'utilité des substances psychédéliques. En ligne de mire : le financement de la recherche et la création d'un cadre légal pour l'utilisation de la psilocybine et de la MDMA à usage thérapeutique.

Lennart Cok, psychologue, et fondateur de cette ASBL, met en avant plusieurs études scientifiques sur les psychédéliques. D'après de récents travaux de chercheurs américains de l'université Johns-Hopkins de Baltimore, la psilocybine serait "4 fois plus efficace que les antidépresseurs traditionnels" pour les patients atteints de dépression sévère. Selon cette autre étude financée par une association américaine militant pour une utilisation médicale des psychotropes, la MDMA permettrait de réduire les symptômes de stress post traumatique. D'autres chercheurs, de la faculté de médecine de l'université de New York, ont publié une étude selon laquelle la psilocybine permettrait de réduire l'anxiété de patients atteints d'un cancer potentiellement mortel. D'autres recherches concluent encore à l'efficacité de psilocybine contre l'addiction au tabac ou à l'alcool.

Une forme d’abandon temporaire de l’ego qui faciliterait les psychothérapies

Le professeur Duez explique que "sous l'influence d'hallucinogènes, la frontière entre le soi et le monde extérieur disparaît ou devient floue". Or, "en psychanalyse, poursuit-il, altérer l'expérience habituelle du monde peut aider les patients pris dans un cycle de problèmes centré sur l'ego à échapper à leur fixation et à leur isolement." Contrairement aux tranquillisants classiques, qui tendent à supprimer les problèmes et les conflits du patient, les hallucinogènes les font remonter à la surface pour qu'ils soient "plus clairement reconnaissables".  Mais ce traitement n'est pas adapté à tous les patients : "Tous les types de troubles psychiques ne répondent pas aussi bien à cette forme de thérapie", met en garde le professeur Duez. Un encadrement thérapeutique est absolument indispensable dans l'utilisation de ces substances, souligne Lennart Cok : l'expérience avec la psilocybine et la MDMA qui dure entre 3 et 6 heures doit être, pour en tirer les bénéfices attendus, précédée, puis suivie de plusieurs séances avec un thérapeute.

Le professeur Duez croit au "grand intérêt psychothérapeutique" des hallucinogènes mais s'inquiète de "leur circulation anarchique en tant que stupéfiant". "Il faut absolument trouver un équilibre entre contrôle et utilisation raisonnée", dit-il. Ce qui évoque inévitablement l'exemple du cannabis, "mis à l'index depuis si longtemps", compare le professeur, alors qu'il "montre des effets pharmacologiques puissants, originaux, et qui peuvent aider les patients abandonnés par la recherche".


 

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