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Bastien, dépendant à l'alcool, est à sa 4e rechute: "Vous pouvez aller n’importe où, l’alcool vous en trouverez toujours"

Bastien, dépendant à l'alcool, est à sa 4e rechute:
 

Le chemin vers la dépendance

L'alcoolisme va de l’usage problématique à l’usage à risques. "Entre les deux phases, ça va très vite", prévient le docteur Emmanuel Pinto, alcoologue et psychiatre.

On considère que pour une personne en bonne santé, boire plus de dix verres par semaine sans qu’il y ait de jour d’arrêt de consommation au cours de la semaine, c’est déjà s’exposer à un risque sur le plan cardio-vasculaire, de maladies cancéreuses, etc. "C’est aussi un risque d’augmenter petit à petit sa consommation dans le futur", ajoute le docteur Emmanuel Pinto. 

On entre dans une consommation nocive quand - quelles que soient les quantités - on a rencontré des problèmes. Exemple: arriver en retard au boulot, être arrêté en état d’ivresse, etc.

La dépendance, c’est la phase ultime. "C’est quand un processus neurobiologique s’est mis en place qui fait que la personne n’est plus capable de s’abstenir de boire. Indépendamment de la quantité et de la fréquence, le fait de ne pas être capable de s’abstenir de boire, c’est la dépendance."

C'est une lente descente vers la dépendance. Bastien a voulu partager son parcours. A quelques jours d'entrer en cure de sevrage pour la troisième fois , il a décidé d’évoquer cette dépendance destructrice à RTL INFO.

"Je voudrais parler d’un sujet qui devient un peu tabou. On n’en parle pas assez. Qu’on en parle un peu plus de ce sujet-là qui touche énormément de personnes." Ce 'sujet-là', c’est l’alcoolisme. Bastien (prénom d'emprunt car il veut garder l'anonymat), 34 ans, en souffre et nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour que le récit de son combat contre la boisson puisse venir en aide à d’autres.

Quand nous le joignons par téléphone, Bastien est en voiture. Le trentenaire originaire de la province de Liège est en route vers Malmedy dans les Hautes Fagnes. Il a rendez-vous dans un centre de cure pour évoquer une éventuelle admission. C’est sa quatrième rechute avec la boisson. Il est déterminé à en finir cette fois-ci. Mais après un bref entretien avec l’une des responsables du centre, il décidera de ne pas rejoindre cet établissement. En cause: la durée de la cure, 6 mois. Bastien ne peut pas se le permettre. Il est indépendant. Il travaille sur les marchés et les fêtes de fin d’année qui approchent représentent une période faste pour son business.


Des conditions de travail qui l'enfoncent doucement

Depuis toujours, Bastien - père depuis peu et actuellement en instance de divorce - travaille sur les marchés. A 17 ans, il arrête l’école et se consacre pleinement à sa profession. Pour expliquer comment il est devenu dépendant, il nous renvoie aux conditions de son métier. "Vous ne vous rendez pas compte que vous devenez alcoolique, décrit Bastien. Tous les jours, je me lève à 2h du matin. Quand il est 8h du matin, c’est déjà la pause de midi pour nous. On mange et on consomme déjà de l’alcool. On prend une bière ou deux. L’hiver, on rajoute de petits 'peket’ pour se réchauffer." A 15h, la journée s’achève, on remballe le matériel. "Avec les collègues, on reprend l’apéro de fin de service." Les barbecues entre collègues les lundi, mardi, jours de congé pour eux, s’accompagnent souvent de bacs de bières.


Le plaisir devient besoin

Année après année, jour après jour, c’est le même ballet de liqueurs. En 2014, la goutte d’alcool qui fait déborder la flasque arrive. C’est une chute insidieuse. Le quotidien alcoolisé a doucement raison de lui. "Tous les jours, je rentrais éméché du boulot vers 16h. Je dormais jusque 20h environ avant de repartir au travail à 2h. Je n’avais plus de contact avec ma femme, plus de communication." La consommation, elle, est aléatoire. "Le lundi, je pouvais boire trois bières et le mardi douze. Quand vous passez à table pour le repas et que vous êtes prêt à tout pour avoir votre petit verre, jusqu’à vous rendre dans un commerce de proximité (…) pour moi, vous êtes dépendant." 

Pour Isabelle Poreye, psychothérapeute, la définition est assez juste: "L’addiction, c’est la perte de la liberté de s’abstenir, éclaire-t-elle. Indépendamment de la quantité et de la fréquence, le fait de ne pas être capable de s’abstenir de boire, c’est la dépendance. C’est devenu un besoin. On ne consomme plus pour le côté ludique." Bastien n’accuse personne, mais pointe du doigt certaines relations, connaissances qui l’invitent sans cesse à lever le coude. Isabelle Poreye ajoute à ce propos: "Le contexte est très important. Certains s’entourent de personnes qui boivent également. Ça normalise leur comportement et leur consommation."

Quand je mangeais, j’étais attentif à la sauce cocktail ou soja qui présente des traces d’alcool

Les plus petits détails comptent 

Après mûres réflexions et face à la situation qui s'empire, en mars 2014, Bastien entre pour la première fois en cure. Il est admis aux cliniques universitaires de Saint-Luc, à Bruxelles. L’hospitalisation dure deux semaines. "Le séjour a été très bénéfique", dit-il. Pour preuve, les trois années suivantes, c’est l’abstinence totale. Pas une goutte d’alcool n’atteindra ses lèvres. "Je faisais attention à tout, même aux plus petits détails. Quand je mangeais, j’étais attentif à la sauce cocktail ou soja qui présente des traces d’alcool."


L'auto-sevrage, une pratique déconseillée

Mais en 2017, trois ans après cette cure, c’est la première rechute. "J’avais eu une fin de semaine difficile, j’étais épuisé et j’ai pris une bière. J’allais chercher le journal et je me suis dit : ‘Pourquoi tu ne reprends pas une bière Bastien ? Essaie, pourquoi pas ? Le lendemain, je me suis réveillé, il m’en fallait trois. J’ai replongé." Pas de cure après cette rechute, il s’en sort tout seul par le biais d’un processus fortement déconseillé: l’auto-sevrage. "C’est très dangereux de s’auto-sevrer, avertit Bastien. Je ne le conseille à personne. J’ai fait une crise d’épilepsie. Heureusement, j’avais quelqu’un à côté de moi ce jour-là."

Le docteur Emmanuel Pinto est alcoologue et psychiatre au centre Louis Hillier à Liège, spécialisé dans le traitement des dépendances. Il nous en dit plus sur les dangers de l’auto-sevrage: "Le sevrage à l’alcool est potentiellement mortel. Il ne faut pas le faire tout seul à partir d’un certain degré de dépendance. Il faut l’accompagner d’un traitement par valium." Pourquoi ? "Il y a comme une tempête neurologique qui se passe au moment du sevrage. Elle peut conduire à des crises d’épilepsie, à des formes de delirium, des hallucinations, etc. À terme, ça peut conduire au coma, voire à un décès s’il n’y a pas de prise en charge rapide."


"Je ne demandais pas mieux"

Il y a quelques mois, en mai de cette année, l’appel irrésistible de l’alcool refait son apparition. C’est la troisième rechute pour lui. "Du personnel sur le marché m’avait énervé, se souvient Bastien. Je me suis dit que je devais décompresser un peu. Tout le monde boit. Pourquoi ne pas me reprendre une petite bière ? Vous pouvez aller n’importe où, l’alcool vous en trouverez toujours." Quinze jours plus tard, sa femme remarque que les vieux démons sont à nouveau là. Retour par la case cure. Cette fois-ci au centre ISoSL Louis Hillier, à Liège. Il y reste trois semaines. En vain, car il y a quelques semaines, en octobre, c’est la rechute. C’est aussi à ce moment-là qu’il décide de contacter notre rédaction. Aujourd’hui, il est en instance de divorce avec sa femme. "Je ne demandais pas mieux. Nous sommes en bons termes et essayons de faire au mieux pour notre enfant." Dans les jours à venir, Bastien espère intégrer une nouvelle fois un centre de cure. Les fêtes de fin d’année approchent et elles représentent une saison importante pour la marchandise qu’il écoule sur les marchés. Il mise beaucoup sur ce futur séjour.

Les mécanismes cérébraux sous-jacents à la dépendance sont installés pour toujours

Arrêter subitement, une méthode à éviter

Avant de pouvoir rejoindre un centre de cure, une première étape s’impose pour Bastien: l’entretien. Le docteur Emmanuel Pinto détaille: "Nous allons juger la situation du patient, la nécessité d’une hospitalisation, sa durée, mais aussi sa motivation. Pour certains, on pense que les hospitaliser tout de suite serait contre-productif, car ils n’ont pas un degré de motivation suffisant. La motivation va vraiment déterminer la réussite."


La consommation contrôlée n’est pas une solution pour les personnes dépendantes 

Le séjour en cure va s’accompagner d’une série d’activités et d’examens complémentaires. Les volontaires au sevrage vont participer à différents modules qui vont de la méditation en pleine conscience au sport en passant par des modules spécifiques de psychoéducation. On leur explique de quelle maladie ils souffrent. "On leur explique pourquoi la dépendance est une maladie chronique, que les mécanismes cérébraux sous-jacents à la dépendance sont installés pour toujours et que la rechute fait partie de leur maladie. L’enjeu va être de mobiliser tout ce qu’il faut pour tenter de ne plus reboire. La consommation contrôlée est illusoire compte tenu des mécanismes cérébraux qui restent en place y compris après l’arrêt de la consommation."

Une autre activité lors du séjour consiste en l’intervention d’anciens alcooliques aujourd’hui devenus abstinents. "Ils vont mettre en place des saynètes d’exposition aux risques de consommer de manière à établir des stratégies de luttes contre le risque de reconsommer."


"Petit à petit, le cerveau s’organise autour du besoin d’aller chercher l’alcool qui devient indispensable"

L’alcoolisme est une maladie "honteuse" dont les effets sur le corps et le cerveau peuvent être ravageurs. L’alcool est responsable d’une soixantaine de maladies physiques. "Ça va de simples problèmes de foie à la cirrhose hépatique en passant par des maladies neurologiques", fait savoir le docteur Pinto.

Quels impacts sur le cerveau ? Pour Bastien, comme pour les autres personnes dépendantes, l’alcool va interférer avec le système de récompense. Naturellement, le cerveau sécrète de la dopamine lorsque nous vivons une expérience positive ou plaisante. "L’alcool va déclencher une sécrétion de dopamine encore plus importante que n’importe quelle action naturelle. Du coup, le circuit de la récompense est parasité par l’alcool. Au bout d’un moment, l’attrait pour toute autre chose devient moins important que celui pour l’alcool. Petit à petit, le cerveau s’organise autour du besoin d’aller chercher l’alcool qui devient indispensable", fait savoir le Docteur Pinto.

Des dérèglements cérébraux vont se mettre en place. "Il y aura de nouveaux équilibres, mais qui seront pathologiques. L’un des soucis est que l’alcool est très neurotoxique. Il va attaquer l’architecture des cellules nerveuses dans certaines régions du cerveau, mais aussi dans d’autres régions du corps. À terme, des problèmes de démence peuvent apparaître, mais il va aussi réduire la capacité d’un individu à réguler son comportement, à maîtriser ses impulsions."

Je me réveille en sueur et j'ai besoin de boire. C'est très dur

Depuis la séparation avec sa femme, le manque de soutien se fait ressentir pour Bastien. Or, l’entourage joue aussi un rôle capital sur le chemin de la guérison. "Les reproches ou l’interdiction sont à éviter. Elles sont peu efficaces et vont même jusqu’à renforcer le comportement de la personne malade. Ils vont parfois avoir tendance à se planquer pour boire dans une forme de désespoir. Il faut essayer de comprendre. Il faut aussi s’exprimer, argumenter de manière positive. Tendre la main pour comprendre", indique Isabelle Poreye. En attendant, les dernières nuits ont été difficiles pour Bastien: "Je me réveille en sueur et j'ai besoin de boire. C'est très dur."

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