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Augmentation des salaires: la Belgique, un cas à part, est-elle mieux lotie que les autres pays?

 
 

Les salaires augmentent partout dans le monde. Mais le coût de la vie aussi (ce qu'on appelle l'inflation). C'est le complexe rapport entre ces deux mesures qui permet à notre pouvoir d'achat de se maintenir, voire parfois d'augmenter. Comment ça se passe en Belgique ? Et ailleurs dans le monde ? On compare avec Philippe Defeyt, économiste.

Depuis toujours, un bras de fer a lieu entre organisations syndicales et patronales au sujet des salaires. Les premières voudraient qu'ils augmentent plus vite, pour améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs. Les secondes voudraient qu'ils augmentent moins vite, pour ne pas mettre trop de pression sur les patrons et ne pas effrayer les potentiels investisseurs étrangers.

Le débat est idéologique, économique, politique… Il se matérialise dans un accord interprofessionnel, qui a été noué hier.

Guy nous a contactés car il estime qu'on ne remet jamais le cas belge en perspective. "L'accord interprofessionnel prévoit une hausse de 0,4 % hors index automatique, index que la Belgique est le seul pays d'Europe à offrir. Il serait donc judicieux de montrer la situation dans les pays environnants", nous a-t-il écrit via le bouton orange Alertez-nous.

On s'est donc penché sur le problème…

La Belgique, dernier pays avec l'indexation automatique des salaires: ça change quoi ?

Avant de comparer les augmentations de salaires dans le monde, il est important de savoir que la Belgique est le dernier pays où l'indexation automatique des salaires est maintenue à un tel niveau. Effectivement, seuls le Luxembourg (qui l'a mis en suspens au minimum jusqu'en 2022) et Chypre (qui l'a réactivé il y a peu mais ça ne concerne plus que les fonctionnaires) imposaient des augmentations salariales quasiment globales aux entreprises quand l'inflation dépassait un certain seuil. Pour faire simple, quand le panier de la ménagère (calculé sur l'évolution des prix des principaux biens et services achetés par le citoyen) augmente de plus de 2% sur un an, les salaires doivent eux aussi être augmentés de 2%. C'est lié aux conventions collectives de travail (donc aux différents types de métiers), mais en Belgique, tout le monde y a droit, à quelques rares exceptions près.

Quand il n'y a pas d'indexation automatique, les syndicats mettent la pression

Imaginée au 20e siècle durant les périodes de grandes inflations (années 1970 et 1980), cette indexation automatique des salaires a été abandonnée par tous les pays sauf la Belgique. Pour autant, vous allez le voir dans les chiffres ci-dessous, ce n'est pas pour cette raison que les salaires augmentent plus vite en Belgique qu'ailleurs. "Prenons le cas de notre voisin l'Allemagne", nous dit l'économiste Philippe Defeyt. "Tous les ans, les centrales syndicales annoncent la couleur. Ils disent: 'On veut une augmentation des salaires de 4%', et en Allemagne, c'est 'augmentation des prix (inflation) comprise'. Si l'inflation est comme elles l'avaient prévu (2%), les travailleurs ont 2% net d'augmentation. Si l'inflation est moindre, ils auront par exemple 3% net en plus ; mais si malheureusement l'inflation est de 4%, alors il n'y a pas d'augmentation du pouvoir d'achat".

"Donc l'idée, quand il n'y pas de système d'indexation automatique, c'est que les organisations syndicales mettent la pression pour avoir des hausses de salaire suffisantes afin de se prémunir contre toute dérive de l'inflation".

Finalement, "en Belgique, les choses sont plus claires: employeurs et travailleurs peuvent oublier les données de l'inflation car l'indexation a lieu automatiquement, et ils négocient la seule partie réelle de l'augmentation des salaires", les fameux 0,4% dont on a parlé plus haut. "Le système d'indexation automatique de tous les salaires a des défauts, mais il a un avantage: il rassure tous les partenaires autour de la table des discussions".

La norme salariale, une autre histoire belge

Vous l'avez compris, dans la plupart des pays, les négociations se font au cas par cas, mais les salaires augmentent partout. Autre particularité belge: la norme salariale. En deux mots: afin de rester compétitif par rapport à nos voisins européens (parce que nous sommes un petit pays qui exporte beaucoup), et parce qu'une indexation automatique des salaires permet déjà de stabiliser le pouvoir d'achat, l'Etat belge impose une marge d'augmentation, fixée dans un 'accord interprofessionnel'. Elle est de maximum 0,4% pour les deux prochaines années, mais ça s'ajoute donc à l'indexation automatique de 2,8%. Donc de manière globale, nos salaires devraient augmenter de 2,8% minimum, et de 3,2% maximum.

Ce principe de norme salariale est fixée dans une loi, et il n'existe nulle part ailleurs. "En Europe, je ne vois pas d'autres pays qui ont une telle norme. Il y a partout des négociations, mais ça n'est jamais, à ma connaissance, traduit dans une loi", nous confirme l'économiste.

Que disent les chiffres ? La Belgique plus ou moins généreuse en augmentation de salaire ?

Avec l'aide de Philippe Defeyt, nous sommes parvenus à trouver les bons chiffres pour comparer les augmentations des salaires entre la Belgique et ses principaux voisins: la France, les Pays-Bas et l'Allemagne, trois fleurons de l'économie européenne.

"C'est incroyable, je suis moi-même surpris", commente-t-il. "En Allemagne, ça augmenté beaucoup plus vite que chez nous". En clair: les salaires ont augmenté moins vite chez nous que chez nos trois voisins sur les 10 dernières années. L'indexation automatique et la norme salariale (qui la 'limite' en partie) ne peuvent donc pas être considérées comme des avantages, du moins si on regarde le portefeuille du citoyen.

Dans le détail, si on prend l'évolution des salaires entre 2010 et 2020 (source officielle, Eurostat):

  • +29,2% en Allemagne
  • +22,2% en France
  • +20,2% aux Pays-Bas
  • +18,6% en Belgique

Si on compare entre 2014 et 2020, on remarque que les salaires ont pratiquement augmenté deux fois plus en Allemagne qu'en Belgique (+16,5% et +9,1%) :


Et ailleurs dans le monde ?

Si l'on veut élargir le spectre des comparaisons, ça devient difficile de trouver des chiffres d'origine publique. On s'est donc tourné vers des analyses d'entreprises privées. Le cabinet international de conseil en gestion des talents et des organisations Korn Ferry sort chaque année une étude dédiée aux prévisions d'augmentations de salaires dans le monde. Elle se base sur les données de 20 millions d'employés payés par 25.000 entreprises dans plus de 130 pays.

Nous avons épluché les prévisions de 2020 établies fin 2019 (qui se sont donc forcément avérées un peu trop ambitieuses) et celles de 2021 établies fin 2020 (qui tiennent compte des dégâts économiques de la pandémie). Même si ces données ne sont pas des analyses statistiques de la situation, elles sont un bon indicateur des différences d'augmentations de salaires à travers le monde, au-delà de la Belgique et de l'Europe. Notez que ces chiffres ne tiennent pas compte des notions d'indexation automatique ni de norme salariale, propres à la Belgique: ce sont des estimations d'augmentations de salaire sur base de sondage auprès d'entreprises.

En 2020, année qui aurait dû être "normale", le cabinet s'attendait à une augmentation moyenne des salaires dans le monde de 4,9%. Mais vu que l'inflation globale (augmentation du coût de la vie) devait atteindre +2,8%, l'augmentation ressentie du salaire aurait dû être de 2,1%. La Belgique, elle, aurait dû avoir une augmentation de salaire de 3%, mais comme l'inflation devait être de +1,7%, l'augmentation ressentie des salaires aurait dû être de 1,3%. C'est donc nettement moins que la moyenne mondiale. Comparée à quelques autres pays, voici où se situait la Belgique (voir tous les chiffres dans le PDF) :

  • Chine: 2,9% d'augmentation ressentie des salaires (augmentation moins l'inflation)
  • Pays-Bas: 1,6%
  • Etats-Unis: 1,4%
  • Allemagne: 1,4%
  • Belgique: 1,3%
  • France: 0,6%
  • Royaume-Uni: 0,4%


(Meilleure visibilité en ouvrant ce PDF)

Pour 2021, année d'incertitudes dans de nombreux secteurs d'activité, le cabinet prévoit que les entreprises vont augmenter leurs employés dans une moindre mesure: seulement 35% des entreprises sondées disent que 100% des travailleurs seront éligibles pour une augmentation. Pour être clair: il y aura moins d'augmentation de salaires, et pour moins d'employés. En 2021, (en Belgique, l'inflation est passée de 1,2% à 1,5% en Belgique au mois de mai), voici les moyennes des augmentations de salaire prévues (voir tous les chiffres dans le PDF):

  • Chine: 2,2% d'augmentation de salaire ressentie (5%, moins une inflation de 2,8%)
  • Etats-Unis: 1,5% (3% - 1,5%)
  • Pays-Bas: 1,5% (2,8% - 1,3%)
  • Royaume-Uni: 1,5% (1,9% - 0,4%)
  • Allemagne: 1,2% (2,5% - 1,3%)
  • Belgique: 1,1% (2,6% - 1,5%)
  • France: -0,2% (1,3% - 1,5%)

Que faut-il en conclure ?

A la lecture de tous ces chiffres, on constate que les salaires en Belgique n'augmentent pas plus vite qu'ailleurs en Europe, ils ont même tendance à augmenter moins vite, malgré l'indexation automatique des salaires.  

Cependant, l'augmentation des salaires dans un pays n'est pas forcément synonyme de richesse pour l'employé (exemple: +37.5% en Argentine en 2021...). Ce n'est qu'une donnée sur ce que les entreprises peuvent ou doivent faire pour garder ou attirer des employés. Elle doit être relativisée avec de nombreux autres facteurs. Le premier "bien sûr, c'est l'évolution du précompte professionnel, donc de l'impôt ponctionné sur le salaire", rappelle l'économiste Philippe Defeyt. "En toute honnêteté, en Belgique, il a baissé depuis le tax shift (voir explication rapide en vidéo) du gouvernement Michel en 2014, c'est une conséquence indubitable, en tout cas sur les petits salaires. Autrement dit: à augmentation du brut égale, l'augmentation en net a été plus importante". Ca explique que les chiffres n'aient pas beaucoup augmenté comparé à nos voisins, mais que le pouvoir d'achat n'a globalement pas été affecté.

L'autre facteur à prendre en compte, c'est que nos salaires ont beau augmenter, il en va de même pour nos besoins (ou de ce qui est considéré comme des besoins par certains). Pour faire simple: on dépense plus que les générations précédentes. Vacances, loisirs, divertissements, voiture, abonnements, sports: les exemples ne manquent pas. De plus, non seulement les prix de ces besoins augmentent (ça se traduit en partie dans l'inflation), mais on a une fâcheuse tendance à multiplier ces besoins: plusieurs voitures, plusieurs séjours de vacances, plusieurs appareils connectés à la maison, etc.

Enfin, il faut aussi voir d'où on vient. Les salaires de l'industrie ont traditionnellement toujours été plus bas en Allemagne que chez nous: ce n'est que depuis 10 ans qu'ils grimpent fortement, on l'a vu dans les chiffres ci-dessus (+29%). Mais "ça ne veut pas forcément dire qu'on est aujourd'hui mieux payé en Allemagne qu'en Belgique": ils ont juste rattrapé leur retard… On devrait alors comparer le niveau de vie des pays, "mais là ça devient très, très compliqué", conclut notre économiste.


 

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