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Décret inscription: la fille de Laeticia a fait TOUTES ses primaires dans une école mais ne pourra pas y rester en secondaire

Décret inscription: la fille de Laeticia a fait TOUTES ses primaires dans une école mais ne pourra pas y rester en secondaire
 
décret inscription
 

Les règles qui encadrent l'inscription des élèves dans l'enseignement secondaire (fixée par le "décret inscription") en fédération Wallonie-Bruxelles ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Si 91% des futurs élèves de première secondaire iront dans l'école de leur choix en septembre, quelques centaines seront privés de ce privilège. C'est le cas de la fille aînée de Laeticia. Bien qu'elle ait passé toutes ses années primaires dans le collège de Gembloux, elle ne pourra pas y rester. Désemparée, la maman a essayé de faire bouger les choses. Mais en vain, les autorités sont restées inflexibles.

C'est une problématique bien plus complexe qu'il n'y parait. Réglementer les inscriptions dans les écoles secondaires est un casse-tête que les politiques responsables de l'enseignement tentent de résoudre tous les dix ans environ. Une modification par-ci, un décret par-là, et de temps en temps une commission…

Comme dans toute réglementation d'inscription, il y a des dommages collatéraux, des enfants qui ont toutes les raisons du monde d'aller dans telle ou telle école, mais qui ne peuvent pas, car ils ne rentrent pas dans les bonnes cases. C'est le cas de la fille de Laeticia, une maman désemparée qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de la détresse qui touche toute la famille.

"Je suis maman de 4 enfants. Ils sont tous les 4 au Collège Saint-Guibert de Gembloux. Ma grande y a fait toutes ses primaires mais comme nous n'habitons pas Gembloux, mais à 10 km de là, elle n'est pas prioritaire. Ma fille n'a donc pas de place dans sa propre école", nous a-t-elle expliqué.

Une vie quotidienne très chargée

Laeticia et son mari font partie de ces familles recomposées et nombreuses à la vie quotidienne très remplie. Les enfants sont âgés de 11 ans, 8 ans, 5 ans et 3 ans. De plus, elle est enceinte du cinquième.

"Mon mari et moi travaillons sur Bruxelles. Il est garagiste et travaille environ 80 heures par semaine. Moi je suis secrétaire mais comme ma deuxième fille a un handicap (un syndrome orphelin peu connu), je rentre plus tôt pour aller à ses rendez-vous médicaux (kiné, psychomotricité, logopède… plusieurs fois par semaine). Donc je dois retourner à Bruxelles le soir, après les devoirs, les bains et le souper, pour terminer ma journée".

Une situation délicate, un rythme de vie à flux tendu, dans lequel le moindre accroc prend une ampleur considérable. Et l'impossibilité d'inscrire sa fille aînée dans le Collège Saint-Guibert de Gembloux est un fameux accroc.

On habite à 10 km de Gembloux, et ils inscrivent d'abord tous ceux de Gembloux

Le décret inscription: "situation plus tendue cette année"

Les problèmes de Laeticia ont commencé quand il a fallu inscrire sa fille aînée. "J'ai suivi toute la procédure, j'étais dans les premières à l'inscrire. Mais en fait, on habite à 10 km de l'école, et donc ils inscrivent d'abord tous ceux de Gembloux. Il y a six classes de 6e primaire, il y a 14 classes de première secondaire: mais rien que dans la classe de ma fille, ils sont déjà 4 à ne pas avoir de place".

Comment en est-on arrivé là ? Tout est lié au décret inscription, qui dans sa dernière version (2010) "est reparti d'une feuille blanche" pour "établir un dispositif d’inscription efficace, transparent, garant de la liberté des parents, de la mixité sociale et de l’autonomie des acteurs et partenaires de l’école". On en a déjà beaucoup parlé, donc nous n'allons pas le détailler.

Des économistes de l'UCL ont écrit récemment "Décret inscription: la vérité si je mens" et décrypte ce texte. Les derniers chiffres officiels que nous avons obtenu sont les suivants. En date du 29 juin dernier, sur 49.569 formulaires d'inscription dans la Fédération Wallonie Bruxelles, 46.236 sont dits "en ordre utile", ce qui signifie que l'élève a obtenu une place dans l'établissement de son premier choix. Ce qui représente 93.29 %. Le communiqué précise tout de même que "la situation est plus tendue cette année, particulièrement à Bruxelles ; par ailleurs, des écoles liégeoises en plus de celles de l’an dernier, mais aussi un certain nombre d’établissements hennuyers, ont été confrontés pour la première fois à des listes d’attente".

Le fait d'avoir fréquenté la section primaire de l'établissement n'est pas un critère

Revenons au cas de Laeticia. Comme toutes les écoles ayant bonne réputation, le Collège Saint-Guibert de Gembloux est victime de son succès. Le décret inscription la considère comme une 'école complète', c'est-à-dire une école pour laquelle au terme de la période d'inscription (le 13 mars), le nombre de demandes dépasse 102% des places disponibles.

Dès lors, la procédure est un peu chamboulée: les demandes sont classées par l'école pour 80% des places disponibles. Le classement est établi sur base d'un "indice composite", qui utilise surtout des critères géographiques (distance école – habitation), mais également l'offre scolaire sur la commune de l'école primaire d'origine et l'existence de partenariats pédagogiques. Hélas pour Laeticia, le fait d'avoir fréquenté la section primaire de l'établissement n'est pas un critère. "J'ai reçu une lettre de l'école, me disant que ma fille n'était pas dans les 80%".

Ensuite, les 22% de places restantes sont prises en charge par la CIRI (Commission Inter Réseaux des Inscriptions), dont le but est notamment d’optimaliser les préférences des parents des élèves dont la première préférence n’a pu être satisfaite directement par les écoles où ils ont déposé leur formulaire d’inscription. En gros, la CIRI essaie de recaser au mieux tous les déçus, et elle attribue d'abord les places restantes au élèves issus d'écoles primaires moins favorisées, remplissant le devoir de 'mixité sociale' imposé dans le décret.

C'est donc avec la CIRI que Laeticia négocie depuis plusieurs mois. "On n'avait pas le choix, on devait attendre la deuxième lettre, celle de la CIRI. Et on l'a reçue il y a quelques semaines: on n'est pas dans les 22%..."

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Première mauvaise nouvelle: l'école n'a pas pu l'inscrire dans les 80% de places dont elle dispose

Les recours ne fonctionnent pas: quelles solutions s'offrent à elle ?

Cette maman désemparée a tout essayé pour que sa fille soit placée dans l'école de son choix. Pour les raisons organisationnelles que nous avons évoquées, mais également par rapport à la fragilité psychologique de sa fille, elle a tenté de faire appel au 'cas de force majeure' prévu par le règlement.

"On avait 10 jours pour envoyer une lettre par recommandé. Je leur ai expliqué ma situation, et je pensais être un cas de force majeure. Vu notre agenda, je ne vois pas ce qui pourrait être un pire cas de force majeure".

Mais très vite, les réponses sont négatives. Dans les courriers que nous avons pu consulter, on lit que la CIRI comprend les difficultés organisationnelles de Laeticia, mais estime "que ces circonstances ne peuvent s'assimiler à des circonstances exceptionnelles ou à un cas de force majeure". La Commission précise également que "le législateur n'a pas entendu consacrer la possibilité pour les enfants fréquentant la section primaire d'un établissement scolaire de continuer dans le secondaire puisqu'il a expressément prévu l'extinction de la priorité liée aux conventions d'adossement conclues entre écoles primaires et établissements secondaires".

Pour Laeticia, c'est la douche froide. Quelles options s'offrent encore à elle ? "On m'a clairement dit que je pouvais mettre mon enfant dans une autre école. On m'a proposé Floreffe, mais il n'y a absolument pas de transport en commun. Il n'y a pas de garderie, ma fille devrait rester dans les rues jusque 18h. On m'a proposé l'internat, mais ma fille a eu une enfance difficile, il n'est pas question qu'elle ressente un abandon, or c'est comme ça qu'elle le prendrait, elle me l'a dit".

Après avoir introduit un deuxième recours qui n'a pas eu plus de succès, Laeticia se voit proposer une autre solution dans le courrier de la CIRI: inscrire son enfant à l'Athénée royal de Gembloux, situé à quelques minutes à pied du Collège. Mais cette école ne plait pas à Laeticia.

La maman désespérée s'est renseignée pour introduire un ultime recours au niveau de la CIRI. "Il faut aller au Conseil d'Etat, mais j'ai demandé à un avocat: c'est 3.000€ hors TVA, et on n'est pas sûr de gagner".

Donc, "notre seule solution, c'est sans doute que je démissionne et que je me débrouille comme je peux, car je ne suis pas prof, pour donner cours à ma fille pour tout le secondaire…". Mais "avec un seul salaire et un crédit hypothécaire à rembourser, il faudrait sans doute vendre la maison".

Une famille dans l'impasse, donc, qui va devoir choisir entre une école qu'elle ne veut pas, et le chamboulement complet d'une organisation familiale et matérielle.

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Deuxième mauvaise nouvelle: la CIRI ne considère pas son cas comme étant "de force majeure"

Une jurisprudence plutôt qu'une liste de cas...

Nous avons joint le cabinet de Marie-Martine Schyns, compétent dans la matière qui nous occupe, pour savoir comment un 'cas de force majeure' était reconnu comme tel. L'idée n'était en effet pas d'évoquer l'impossibilité d'inscrire la fille de Laeticia dans l'école de son choix: même si elle parait injuste, elle est basée sur des critères objectifs mis en place par le décret.

"Lors de la création du décret", nous a expliqué Eric Etienne, porte-parole et chef de cabinet adjoint, "on a volontairement choisi de ne pas énumérer la liste des critères pouvant mener à considérer la situation comme 'cas de force majeure'. Il y a tellement de circonstances de vie (maladie, famille, etc) différentes qu'on a préféré évoquer un principe général".

La CIRI, "composée je le rappelle des différents acteurs du monde l'enseignement, se réunit plusieurs fois par an pour évaluer ou réévaluer la situation, car celle-ci peut changer entre l'inscription et le début de l'année". Plutôt que de se baser sur des critères objectifs qui n'existent d'ailleurs pas, "la Commission s'appuie désormais sur une jurisprudence, car ça fait quelques années qu'elle opère".

Son travail s'en trouve donc facilité, même si forcément, il y a, comme Laeticia, des parents et des enfants déçus. "La Commission considère plusieurs éléments" et s'est constituée "une ligne de démarcation" qui l'amènerait à dire qu'il y a, ou pas, obligation pour la fille de Laeticia d'être inscrite au Collège Saint-Guibert. En l'occurrence, les membres considèrent qu'il n'y a pas d'obligation dans le cas présent...


 

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