Les magasins Switch, rachetés depuis quelques années par une entreprise française spécialisée dans l'assurance smartphone (mais qui force la main pour souscrire à d'autres "services" beaucoup plus étranges), continuent d'abuser de la confiance des clients. Le nom a changé (Hubside.Store) mais la formule reste la même: attirer, séduire, mentir, faire signer des contrats au coût astronomique... Elle a passé des dizaines de coups de téléphone pour tenter de les résiliser.
Erika vient de terminer ses études en criminologie à l’Université de Liège. La jeune fille de 23 ans, enfin débarrassée de ses cours, profitait tranquillement d’un après-midi à la galerie de Belle-Île, un centre commercial bien connu dans la région liégeoise. Malheureusement, son moment de détente va virer à l'arnaque.
Sans s’en rendre compte, elle va se faire avoir par les vendeurs du magasin Hubside Store, et ressortir avec trois contrats d’abonnement, tous très onéreux. Elle n’est malheureusement pas la seule à s’être fait avoir par l’enseigne. Nous vous rapportions, il y a plusieurs mois déjà, les histoires de Derrick, Christophe et Vanessa, à qui il est arrivé la même chose (à l'époque, l'enseigne s'appelait encre Switch, voir nos explications).
Un mode opératoire bien huilé
"En me promenant dans la galerie commerciale, je me suis fait interpeller par une jeune dame me proposant un coupon me donnant droit à une batterie portable externe pour mon smartphone, gratuite, chez le magasin Hubside Store", raconte-t-elle.
Intriguée par l’alléchante offre que l’on vient de lui soumettre, Erika franchit le seuil de la boutique. Quelques pas qu’elle va regretter un peu plus tard.
"Le vendeur m’explique que c’est un coup marketing de la marque dans le but de se faire connaître. Il est bienveillant et rassurant. Il me fait m’asseoir, me propose un café. Il insiste sur le caractère gratuit et purement commercial du geste. Il m’explique également qu’il a simplement besoin de mes coordonnées afin de créer une fiche client pour justifier la sortie de stock de mon appareil multimédia gratuit", se souvient cette habitante de Grâce-Hollogne. "C’est comme ça que je me suis fait happer. Je ne serais pas rentrée sans le coupon."
Une présentation impeccable et une gentillesse à toute épreuve mettent Erika en pleine confiance. C’est le moment où les choses sérieuses vont commencer… sans qu’elle ne s’en rende compte. "Il me demande également mon numéro de compte en banque, dans un souci de procédure, pour que la fiche soit complète au cas où je voudrais devenir cliente chez eux par après. Tout va très vite, et le discours est bien rodé. Il me sort plusieurs brochures que l’on me conseille de lire ‘tranquillement à la maison’. Il me fait ensuite signer électroniquement 3 papiers pour bénéficier d’un mois d’essai gratuit de leurs formules, en me disant qu’il s’agit de simples formalités, et que j’aurais juste à appeler un numéro par la suite pour mettre fin aux contrats, en me montrant bien noir sur blanc la phrase ‘je déclare avoir été informée que je dispose de la faculté de renoncer à mon contrat dans un délai de 30 jours sur simple appel au numéro figurant sur le présent contrat’."
Mauvaise surprise
"En sortant de la boutique, je décide de me renseigner sur cette enseigne. Et là, catastrophe ! La première chose que je vois en indiquant le nom de l’enseigne sur internet, c’est ‘attention arnaque’. Je me rends sur plusieurs sites afin de vérifier les avis… Horrifiée, je me rends compte que des milliers de litiges sont ouverts contre cette enseigne. Des personnes se font soutirer des sommes astronomiques pour lesquelles elles n’ont pas signé, les contrats sont impossibles à résilier, des sommes continuent d’être débitées même après résiliation, aucun remboursement n’est effectué…"
(c) Alertez-nous - Ci-dessus, le contrat qu'a signé Erika
Prise de panique, Erika décide d’entamer les démarches de résiliation "à peine 1h après ma sortie de boutique". "Je me lançais, sans le savoir, dans une longue aventure", regrette la jeune criminologue.
Il a fallu 6 appels pour trouver quelqu’un capable de résilier ce contrat
En reprenant ses esprits, elle réalise que le vendeur l’a fait souscrire à trois assurances. Pour s’en défaire, Erika a dû faire preuve de (beaucoup) de patience et de persévérance.
1er contrat : Une assurance ‘Pass location’. "Le vendeur m’a fait souscrire, sans que je sois au courant, au pack le plus cher proposé, soit 200€ par mois. 1er appel, le service client me dit que cela serait dommage de résilier si vite, car j’ai droit à 2 cadeaux pour mon premier mois d’essai gratuit, et qu’il serait bête de ne pas en profiter. On me propose soit un vélo électrique, soit une console de jeu ou encore un pc portable. Ici encore une arnaque évidemment. Premièrement, car il est indiqué dans le contrat que le fameux ‘cadeau’ ne peut être envoyé que pour un contrat en cours de validité (donc pas encore résilié) et que cela peut prendre 8 semaines (soit bien au-delà des 4 semaines offertes, ce qui vous oblige à payer 1 mois minimum). Et, deuxièmement, car après 3 autres appels infructueux, un autre monsieur me dit que, en réalité, il faut souscrire au minimum 5 mois consécutifs au contrat pour bénéficier du cadeau, et qu’on aurait dû me le dire. Il aura fallu plus de 6 appels pour trouver quelqu’un qui soit capable de résilier ce contrat", s’agace Erika. "Et c’était le plus simple…"
Les personnes vous engueulent
2e contrat : Reward club, formule infinite à 100€ par mois. "Ici encore, je ne suis pas au courant. Il aura fallu plus de 12 appels (dont la plupart vers la France) pour trouver quelqu’un qui puisse résilier ce contrat. Chaque numéro appelé nous renvoie de services en services : les personnes ne trouvent pas votre dossier, ne sont pas compétentes pour les résiliations, ou même encore vous engueulent. Eh oui, je suis tombée sur une femme qui m’a expliqué qu’il était honteux de résilier si vite mon contrat, que ça ne se faisait pas, et que je mettais probablement de l’argent dans d’autres conneries moins intéressantes, donc qu’il ne fallait pas venir lui parler de budget. Après m’être énervée sur elle, elle accepte finalement de résilier mon contrat (après plus de 10 minutes de négociation, un comble)."
On me dit que je perds mon temps
3e contrat : Buy back advance. Une formule à 90€ par mois. "Pas de long suspens, je n’ai toujours pas réussi à faire résilier ce contrat. En effet, après une trentaine d’appels passés, en Belgique comme en France, personne ne peut m’aider, car je n’ai soi-disant pas la bonne référence de contrat. Chacun se renvoie la balle en disant que ce n’est pas ce service qu’il faut contacter, alors qu’il s’agit bien du numéro figurant sur le contrat. On a même le culot de me dire que ce n’est pas le numéro qui est inscrit sur mon papier, alors que je l’ai devant les yeux… Je décide alors de me rendre en boutique pour faire part de mon mécontentement. Là, on me répond que le service client ‘c’est des cons’ et que je perds mon temps. Ils tentent également de passer les appels, auxquels on leur répond que je n’ai pas de contrat, alors que le vendeur l’a devant les yeux. Ils ne savent pas m’aider et me conseillent de faire annuler toutes les domiciliations liées à mon compte en banque, ce qu’on ne peut bien entendu pas faire ainsi, et qui est en plus de cela super contraignant."
Cette boutique doit fermer de toute urgence
C’est pourtant ce que va devoir faire Erika. Elle est obligée de fermer son compte en banque et d’en ouvrir un nouveau afin que la domiciliation à laquelle elle a souscrit malgré elle ne la poursuive pas. "Pour moi c’est pénible mais réalisable parce que je suis jeune, mais une mère de famille qui reçoit ses allocations, qui paie ses factures et qui a de nombreuses domiciliations sur son compte, ce n’est pas possible de le fermer", s’inquiète-t-elle.
"J’ai réagi à temps, contrairement à d’autres personnes qui se retrouvent aujourd’hui avec un énorme déficit budgétaire à cause de cette escroquerie. Cela ne peut plus durer, leurs pratiques sont frauduleuses, et ils ne respectent pas les règles en vigueur en matière de protection du consommateur. Cette boutique doit fermer de toute urgence", alerte l’ancienne étudiante.
Des problèmes bien connus
Contacté par la rédaction, le centre commercial de Belle-Île affirme être au courant de la situation. "On a des retours de la part des clients. On est au courant des choses qui ne vont pas."
Si les possibilités d’action sont réduites, le centre fait ce qu’il peut pour faire comprendre au magasin que ses pratiques ne sont pas appréciées des clients. "On leur met des amendes. On n’est pas d’accord avec ce qu’ils font. On ne communique pas sur ce magasin quand ils font des actions ou des promotions, ça fait partie des sanctions que nous leur infligeons."
"Ils sont bien rôdés", reconnait-on encore du côté des instances du centre commercial qui appelle ses clients à être vigilants et surtout lire les contrats avant de les signer.
Car c’est là tout le nœud de ce problème, les contrats sont signés par les clients et sont, de surcroit, légalement valables. Du moins ça l’était jusqu’à ce vendredi 4 novembre. En effet, la secrétaire d'État à la Protection des consommateurs, Eva De Bleeker, a annoncé que les contrats d'assurance pour smartphones, ordinateurs ou tablettes, qui débutent par une période de gratuité, sont désormais interdits en Belgique (voir nos explications):
Erika a bien tenté de porter plainte à la police, mais celle-ci est impuissante. "Il n’y a pas d’infraction", lui répond-elle. La jeune femme, arnaquée avant l’entrée en vigueur de cette décision, décide alors de porter plainte auprès de l’association des consommateurs, Test Achats.
Une commercialisation mieux encadrée désormais
Par l'intermédiaire de sa porte-parole Julie Frère, Test Achats a souhaité éclaircir la situation. "La commercialisation des assurances pour smartphones et autres appareils multimédia sera mieux encadrée grâce à de nouvelles règles édictées par la FSMA (Autorité des services et marchés financiers)", explique-t-elle.
Le consommateur avait les pieds et mains liés
"Il y a environ un an, notre contact center commençait à être inondé d’appels de membres mécontents de la façon dont les magasins Switch leur forçaient la main pour souscrire différents services, souvent inutiles pour eux, lors de l’achat d’un smartphone ou d’une tablette. La plupart du temps, les acheteurs n’avaient pas conscience de ce qu’ils signaient et ils ne se rendaient pas compte qu’ils souscrivaient une assurance ou un abonnement à payer mensuellement. Les plaintes étaient tellement nombreuses et concordantes que nous avons déposé plainte auprès des autorités de contrôle en février de cette année. Les résultats ne se sont pas fait attendre puisque dès le 2 mars, la FSMA interdisait à la société Switch de commercialiser des produits d’assurance sur le territoire belge "pour non-respect de certaines dispositions légales ou réglementaires, notamment en matière d’information du client et de règles de conduite", détaille-t-elle.
Et afin d'éviter ce genre de mésaventure à l'avenir, la FSMA a rédigé un règlement, rendu obligatoire par arrêté royal. "En soi, il n’y a rien d’anormal à proposer une assurance à l’acheteur d’un produit multimédia. A condition que le consommateur soit correctement informé du coût, de la couverture et des exclusions de l’assurance proposée, il n’y a effectivement rien à redire. Le problème avec l’affaire Switch/Sfam, c’est que l’on promettait au consommateur un mois d’assurance "gratuite". Passé ce délai, la prime mensuelle variait à la hausse chaque mois. En agissant ainsi, l’entreprise récupérait le mois de "gratuité" sur les primes des 11 mois suivants. Etant donné qu’il était pratiquement impossible de joindre le service clientèle afin d’obtenir des informations ou de renoncer au contrat d’assurance durant le délai de réflexion prévu, le consommateur était pieds et mains liés", précise Julie Frère.
L'arrêté royal prévoit donc la solution suivante : lorsqu’une offre d’assurance prévoit la gratuité d’un ou plusieurs mois, il est désormais obligatoire de prévoir des primes d’un montant égal et réparties sur toute la durée du contrat. Autrement dit, lorsqu’on offre le premier mois gratuit, le solde de la prime (le montant total de la prime moins le mois gratuit) devra être réparti de manière égale sur les 12 mois du contrat. Le consommateur, obligé de payer une prime dès la souscription du contrat, sera de cette manière mieux informé et plus conscient de l’engagement qu’il prend en souscrivant une telle assurance.
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