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Procès terroristes: le parquet général craint un "engorgement"

Procès terroristes: le parquet général craint un "engorgement"
Catherine Champrenault, procureure générale de Paris, le 15 janvier 2016 au palais de justice de ParisPATRICK KOVARIK
 
 

Procureure générale à la cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault est l'une des pilotes de l'antiterrorisme en France. Alors que se succèdent les attentats et les arrestations, elle met en garde contre un "engorgement" des tribunaux.

QUESTION: Plus de 250 détenus en France attendent d'être jugés pour des délits ou crimes liés au terrorisme. La justice peut-elle faire face?

REPONSE: "Dans l'état de notre procédure et de nos moyens, nous ne pouvons pas absorber cette masse d'affaires nouvelles. Je crains l'engorgement de la cour d'assises de Paris comme celui des juridictions correctionnelles.

Les citoyens français sont dans une demande légitime de répression à l'égard d'hommes et femmes qui ont démontré leur dangerosité et revendiquent leur haine de la France. Il faudra en 2017 créer au moins deux nouvelles formations de cour d'assises et ajuster les effectifs.

Je pense et j'espère que des effectifs supplémentaires en magistrats et en greffiers nous seront donnés, mais peut-être en corrélation pouvons-nous voir comment simplifier la procédure."

Q: A quelles simplifications pensez-vous?

R: "Certainement pas la restauration de la cour de sûreté de l'Etat, qui fut une parodie de justice. Nous ne voulons pas de justice expéditive, mais il faut chercher des moyens d'accélérer le processus judiciaire sans perdre le génie et l'âme de notre procédure pénale.

La cour d'assises qui juge les affaires de terrorisme et celles de la criminalité organisée est composée à l'heure actuelle de sept magistrats professionnels, on pourrait envisager de réduire leur nombre à cinq sans nuire à la qualité de la justice.

On peut aussi se poser la question de l'oralité des débats. Dans la procédure d'assises de droit commun comparaissent devant la cour (composée majoritairement de jurés populaires, ndlr) les enquêteurs, tous les témoins, les experts: psychologues, psychiatres, balistique… C'est une nécessité pour les jurés qui n'ont pas accès au dossier. Mais cette exigence d'oralité est peut-être moins impérieuse pour des magistrats professionnels."

Q: Avec le procureur de Paris François Molins, vous entendez renvoyer aux assises des jihadistes présumés qui jusqu'ici passaient au tribunal correctionnel, en particulier celles et ceux partis rejoindre le groupe Etat islamique après janvier 2015. Pourquoi?

R: "Pour les associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste commises par des individus qui s'organisent en filières sur le territoire national sans passage à l'acte, les tribunaux correctionnels prononcent déjà des peines généralement comprises entre quatre et neuf ans d’emprisonnement.

Pour juger ceux qui sont partis sur les zones de combat dont il est démontré qu'ils ont participé aux entraînements et aux exactions, la répression se doit d'être plus importante. Ces individus savent très bien qu'ils rejoignent une organisation criminelle, qui revendique l’élimination par tous moyens et en tous lieux de ceux qu’ils considèrent comme des mécréants.

J'ai proposé qu'en matière de délit, la répression passe de dix ans à quinze ans d'emprisonnement pour différencier les velléitaires de ceux qui ont fait la démarche de partir ou de ceux qui préparent une action violente sur le territoire national. Mais les pouvoirs publics n'ont pas voulu bouleverser l'échelle des peines.

Il a donc été décidé de recourir à la qualification criminelle retenue dès l'origine à l'encontre des associations de malfaiteurs à caractère terroriste les plus graves et les plus dangereuses, afin que leurs auteurs encourent des peines supérieures à dix ans."

Q: Cette stratégie passe par la jurisprudence...

R: "Nous avons formé un pourvoi en cassation concernant deux individus partis en Syrie, ayant participé aux entraînements et aux combats, l'un d'eux s'étant fait photographier avec la tête coupée d'un otage, afin que cette affaire reçoive une qualification criminelle et qu'elle soit ainsi jugée par la cour d'assises spécialement composée de Paris. Dans un arrêt du 12 juillet 2016, la Cour de cassation a suivi notre analyse juridique.

Je suis attentive à consolider la jurisprudence en matière d'association de malfaiteurs terroriste. Nous avons formé deux pourvois en cassation, dont l'un dans l'affaire Merah. Ce recours sera prochainement examiné."


 

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