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L'Albanie, un pays rongé par les paris sportifs: "Il a misé sur la Belgique, mais en fait ce qu'on a eu c'est la misère"

L'Albanie, un pays rongé par les paris sportifs: "Il a misé sur la Belgique, mais en fait ce qu'on a eu c'est la misère"
 
 

En Albanie, aux grands maux les grands remèdes: les jeux d'argent, sources de profit pour le crime organisé et de drames pour de nombreuses familles, seront prohibés à partir du 1er janvier dans ce pays des Balkans, l'un des plus pauvres d'Europe.

Cette loi, qui soulève déjà la controverse, entraînera la fermeture des 4.300 bureaux de paris, aujourd'hui présents à tous les coins de rue.

Dans un pays de plus de 2,8 millions d'habitants, cela représente environ un bureau de paris pour 670 personnes, une proportion "très élevée", note l'économiste Klodian Tomorri, bien plus grande que dans les pays voisins ou les pays occidentaux développés.

La loi bannit aussi les paris en ligne et prévoit des restrictions pour les casinos, dont certains se trouvent à proximité d'écoles. Seuls ceux situés dans les hôtels cinq étoiles dans les sites touristiques possédant une licence pourront se maintenir.

Pour Arta, 31 ans, mère de deux enfants, la décision est bienvenue, bien qu'elle arrive trop tard pour préserver sa famille du drame.

En juillet dernier, son mari s'est jeté d'un bâtiment après avoir perdu un pari sur le match de football France-Belgique, remporté par la France.

"Il a parié sur la Belgique, mais en fait ce qu'on a eu c'est la misère", dit Arta, les larmes aux yeux, désormais seule pour élever ses enfants avec une aide sociale mensuelle de 100 euros.

Selon une étude de l'Université de Tirana, un parieur sur quatre a au moins une fois tenté de se suicider et 70% ont des problèmes psychologiques.

"Il existe un lien étroit entre les jeux d'argent et les violences familiales débouchant sur des crises très graves chez de nombreuses familles", souligne Iris Luarasi, du Conseil national d'assistance aux victimes de violences.

Tout perdre

Ilir Musta, 35 ans, est de ceux qui ont eu à affronter ce genre de crise.

"Jouer, au début c'était bien, maintenant c'est un cancer. J'ai perdu ma vie, ma femme, ma fille, je suis un mort-vivant", confie d'une voix tremblante cet homme, qui a demandé de l'aide à son médecin.

Il s'est mis à jouer il y a deux ans, avant de se retrouver submergé de dettes puis d'être envoyé en prison pour avoir battu sa femme qui lui demandait le divorce.

Comme la sienne, de nombreuses familles sont dévastées par cette addiction. L'avocate Vjollca Pustina à Tirana estime à 70% la proportion de divorces liés aux problèmes des jeux d'argent.

Le gouvernement a annoncé que des centres d'aide aux ex-parieurs seraient mis en place, mais leur ouverture dès le 1er janvier paraît incertaine.

"L'addiction aux jeux est une maladie qui doit être traitée dès la fermeture des bureaux de paris. Pour l'instant les centres de réhabilitation ne sont pas en place", déplore Menada Petro, professeur de sciences sociales à l'université de Durres.

Crime organisé

Selon des chiffres officiels, les Albanais dépensent entre 140 et 150 millions d'euros par an sur les paris sportifs. Mais en prenant en compte les paris illégaux, ce chiffre monte à 700 millions d'euros, estime le gouvernement.

Pour le Premier ministre socialiste Edi Rama, le but est d'empêcher le crime organisé de réaliser des gains par le biais de cette industrie qu'il utilise aussi pour le blanchiment d'argent.

Mais "la guerre (contre le crime organisé) va se poursuivre, car les criminels changent de stratégie", a-t-il récemment déclaré dans une interview télévisée.

Le contrôle des lieux de paris illégaux, notamment des sites en ligne, est l'une des premières batailles à venir.

"Les compagnies de paris transfèrent déjà leurs affaires en Macédoine, au Monténégro et au Kosovo afin de poursuivre tranquillement leur travail", assure Artan Shyti, président de la fédération des compagnies albanaises des jeux d'argent.

Selon lui, l'entrée en vigueur de la loi va mettre au chômage environ 8.000 personnes.

"Les autorités ont permis le développement (des bureaux de paris) puis décidé subitement de les fermer sans faire la moindre distinction entre les affaires propres et compromises", regrette Arjan Gumi, 47 ans, qui dirige depuis 16 ans un petit bureau de paris à Tirana. "C'est aussi tragique pour nos familles", dit-il, espérant que l'Etat tiendra sa promesse de venir en aide à ceux qui se retrouvent ainsi sans emploi.


 

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