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Ex-braconniers et "gros mangeurs de tortues", les habitants de ce village sénégalais sont devenus "leurs plus grands protecteurs" (vidéo)

Ex-braconniers et "gros mangeurs de tortues", les habitants de ce village sénégalais sont devenus "leurs plus grands protecteurs"
© AFP
 
 

À Joal-Fadiouth, au Sénégal, une association de protection des tortues a été créée il y a quelques années. Un gros changement pour les habitants qui avaient pour habitude de les consommer et qui veillent désormais à leur sauvegarde.

"Des plus grands mangeurs de tortues, on est devenu leurs plus grands protecteurs", s'esclaffe Abdou Karim Sall, qui est à la fois pêcheur et responsable au Sénégal d'une zone protégée, par où transitent de nombreuses tortues marines. Ici à Joal-Fadiouth, les tortues, "on les mangeait dans la rue, on les cuisinait à la maison", il y a une trentaine d'années, raconte M. Sall, 56 ans.

Le braconnage n'a pas disparu et les tortues présentes dans cette partie tropicale de l'Atlantique, qu'elles soient vertes, luths ou caouannes, sont aussi exposées aux dangers de la pêche accidentelle et à la pollution. En 2004, a été créée à deux heures de route de Dakar l'Aire marine protégée (AMP) de Joal-Fadiouth, associant Joal, un port de pêche, et Fadiouth, un village voisin bâti sur une île constituée d'amoncellements de coquillages et très prisée des touristes.

La défense de la biodiversité

Une bande marine de huit kilomètres de large, des plages de sable, un réseau de mangroves et une zone de savane... en tout 174 kilomètres carrés cogérés par l'Etat, les autorités locales et des associations de femmes ou de pêcheurs, et dédiés à la défense de la biodiversité aussi bien qu'à l'amélioration des conditions de vie de la population.

Protéger les tortues est l'une des vocations de l'AMP. Ces excellentes nageuses passent ici lors de leur migration d'un bon millier de kilomètres entre les îles du Cap-Vert, au Nord, et la Guinée-Bissau, au Sud, où elles pondent. Le voyage n'est pas sans risque. Il leur arrive de confondre les sachets plastiques avec les méduses, dont elles raffolent. Et d'être prises dans les mailles des pêcheurs.

L'une d'elles, qui comme d'autres a entamé la migration il y a peu, vient justement de s'empêtrer dans les filets d'une pirogue multicolore qui navigue aux limites de l'aire protégée. Au prix d'un effort intense, quatre jeunes gaillards torse nu, hissent la bête d'une centaine de kilos à bord, l'extraient de son piège et la remettent à l'eau. "Ce n'est pas à notre avantage de les consommer, parce qu'elles contribuent à la sauvegarde des espèces marines. Les crevettes et les poulpes abondent là où se trouvent les tortues", explique le chef de l'équipage, Gamar Kane, 32 ans.

D'anciens vendeurs de tortues reconvertis

La pêche fait vivre directement ou indirectement environ 500.000 Sénégalais (sur une population d'environ 16 millions), selon l'ONU. Elle est aussi un mode de vie dans ce pays pauvre, et des communautés entières en dépendent le long de la côte. Abdou Karim Sall, en tant que patron de l'association locale des pêcheurs et président du comité de gestion de l'aire de protection, sensibilise les populations à la protection des tortues en organisant des "cinéma-débats". D'anciens vendeurs de tortues ont même été "reconvertis" en recevant trois pirogues pour emmener les touristes en mer, dit-il.

Environ 500 par an, ces visiteurs sont pratiquement assurés de pouvoir photographier quelques-unes des tortues qui longent la côte par milliers, même si leur nombre a "diminué d'environ 30% depuis 20 ans", selon M. Sall. Avec de la chance, ils peuvent aussi apercevoir un lamantin, mammifère aquatique de plusieurs centaines de kilos, en train de brouter paisiblement.

Toutes les tortues ne font pas que passer et se nourrir dans les eaux peu profondes de la côte, entretenant un biotope fragile. De juin à octobre, quelques dizaines d'entre elles s'arrêtent pour pondre sur les plages de Joal. Une vingtaine d'agents de l'aire marine et de bénévoles protègent les nids avec du grillage.

"La sensibilisation n'a pas fonctionné à 100%"

Quarante-cinq jours plus tard, "on vient à 06H00 du matin pour que les prédateurs ne prennent pas les petits", dit M. Sall. Entre les varans gourmands d'oeufs, les oiseaux après l'éclosion, les lottes une fois en mer, les chances de survie ne dépassent pas 1 sur 1.000, ajoute-t-il.

Le pêcheur-conservateur en convient, "la sensibilisation n'a pas fonctionné à 100%". "Tous les pêcheurs ne rejettent pas les tortues et lorsque la pêche n'est pas bonne, certains les chassent." Ils peuvent en prélever des dizaines par jour, voire plus, pour payer l'essence de leur pirogue, assure-t-il.

L'appétit persistant pour la viande de tortue n'est pas la seule menace qui guette ces animaux. Fin juin, on a retrouvé le cadavre d'une jeune tortue verte sur une plage de Dakar, le ventre tranché sur toute la longueur. "Sa queue et son appareil reproductif ont été prélevés pour des raisons 'médicinales'", estime Charlotte Thomas, une responsable de l'ONG sénégalaise Oceanium.


 

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