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Des dizaines de sites pro-Trump ont relayé les fausses infos de cet habitant d'un patelin de... Macédoine: mais qu'est-ce qui a motivé Boris, 17 ans ?

Des dizaines de sites pro-Trump ont relayé les fausses infos de cet habitant d'un patelin de... Macédoine: mais qu'est-ce qui a motivé Boris, 17 ans ?
 

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Aux Etats-Unis, on parle d'une crise majeure pour les médias, suite à la victoire de Donald Trump que personne n'avait prédit. Le nouveau président des Etats-Unis a entamé une relation inédite avec les grands médias traditionnels, basée sur le mépris et la diffamation. En trame de fonds, il y a le concept des 'fake news', ces fausses informations intentionnellement diffusées par des partisans de Trump étonnamment actifs en ligne et sur les réseaux sociaux. Et pour mettre de l'eau au moulin, ces derniers ont pu compter sur… une ville de Macédoine. Le média en ligne Wired a mené l'enquête. En voici le résumé.

Depuis plusieurs mois, vous entendez régulièrement parler des 'fake news', un terme anglais signifiant simplement 'fausses informations' que l'on peut trouver sur le web. Il s'agit donc d'articles bidon qu'on peut trouver sur des sites qui le sont tout autant.

Le concept n'est pas neuf, loin s'en faut. Mais en 2016, cherchant sans doute à expliquer l'inexplicable (la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines était jugée très improbable pour un tas de raisons que nous ne développerons pas ici), les 'fake news' ont été au centre de l'attention des médias. Plus nombreuses, plus partagées sur les réseaux sociaux, elles auraient contribué d'une manière ou d'une autre à l'élection de Donald Trump…

Il est difficile de mesurer précisément l'impact de la propagation de ces 'fake news' sur la campagne présidentielle. En revanche, il est clair que c'est la première fois qu'une certaine mouvance, aux Etats-Unis, a 'organisé' la diffusion de fausses informations dans le but de toucher et de convaincre une certaine partie de l'électorat. Trump ayant gagné de peu, des questions se posent sur l'influence et l'origine de ces 'fake news'…

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Veles, l'usine de 'fake news'

Les médias américains sont désormais bannis par un Trump très rancunier (voir le tweet dans lequel le président traite de 'fake news' CNN, notamment). Le président privilégie les canaux de communication directs (Twitter) ou acquis à sa cause (Breitbart)

Les journalistes américains ont évidemment enquêté, dès les résultats des élections: pourquoi ces fausses informations ont-elles eu un tel écho sur le web et les réseaux sociaux ?

On soupçonne la mouvance 'alt-right' (droite 'alternative' accusée de prôner la suprématie blanche, le sexisme, d'être conspirationniste et opposée à l'immigration) d'être à l'origine de la création d'une série de 'fake news' ou d'actualités intentionnellement orientées.

Mais le site Wired a voulu aller plus loin, et a enquêté sur Veles, une petite ville de Macédoine où une centaine de faux sites d'actu ont relayé ces 'fake news' américaines. L'intégralité du reportage de Samantha Subramanian, baptisé "Les ados macédoniens qui ont maîtrisé les fake news", est à lire ici.

Le média a rencontré Boris (nom d'emprunt), 17 ans, citoyen d'une ville pas très réjouissante de 55.000 habitants, autrefois réputée pour être la deuxième cité la plus polluante de l'ex-Yougoslavie, à cause notamment de son usine de céramique employant à l'époque 4.000 personnes. Après l'indépendance en 1991, Veles a décliné, les usines ont fermé, les emplois ont disparu, la précarité s'est installée.

Les jeunes y sont relativement désabusés. Boris a arrêté l'école car de toute façon, "on ne peut pas gagner sa vie ici avec un vrai métier". Rêvant de voitures de luxe et de bouteilles de Champagne en boite de nuit, il a cherché des moyens alternatifs pour se faire un peu d'argent.

Après avoir rencontré d'autres habitants de Veles gagnant considérablement bien leur vie avec un site de conseils santé en anglais (à destination des Américains et avec des articles à la fiabilité très relative), Boris a arrêté l'école pour se consacrer à ses activités en ligne.

Il a donc acheté des noms de domaines en anglais dont la traduction en français donnerait: ConnaissanceDesRumeurs.com, DesInfosIntéressantesAuQuotidien.com, etc… Puis il a construit les sites en WordPress, un logiciel pour en éditer assez facilement le contenu.

Le déclic 'Pro Trump'

Le but de Boris – qui a été imité par des dizaines de jeunes de Veles - était d'accumuler les clics sur ses sites web et de gagner de l'argent avec la publicité (gérée directement par Google, n'importe qui peut le faire). Mais on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, et quelques mois de vache maigre ont suivi.  

Cependant, l'an dernier, une (fausse) info a brièvement fait le 'buzz': Trump, alors candidat président, qui gifle un homme. Boris a alors senti le potentiel viral des élections américaines, et il a acheté un nouveau nom de domaine: NewYorkTimesPolitics.com, dont le design s'inspirait intentionnellement du grand média américain New York Times.

Après avoir reçu un email très menaçant, il a immédiatement fermé le site. Il a ensuite ouvert PoliticsHall.com et USAPolicitcs.co. Des noms qui donnent une impression de sérieux, et d'analyse sur la politique américaine en pleine période électorale.

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Il copie/colle les 'fake news' et se fait soutenir par les pro-Trump

Baragouinant vaguement l'anglais, Boris est bien incapable d'écrire quoi que ce soit sur ces sites. Il copie/colle alors le contenu d'autres sites. Et ce qui lui rapporte le plus de visiteurs, ce sont les infos sur Trump. En fait, plutôt les articles pro-Trump, complètement orientés, généralement truffés de mensonges. Les meilleurs exemples auxquels pensent Boris: la condamnation criminelle imminente de Clinton, et le soutien ouvert du pape François envers Trump.

Boris a bien compris ce qui lui amène du clic: le fait de poster son article bidon sur des groupes Facebook de soutien et de propagande pro-Trump. A son grand étonnement (au début…), ses articles sont partagés des milliers de fois par des gens dont le but est justement de générer un maximum de clics sur ces infos, afin de les faire grimper dans les résultats de recherche de Google, par exemple, et de leur donner une crédibilité algorithmique - des infos largement partagées finissent par apparaitre dans les suggestions publicitaires, sur Facebook, etc…

Boris a la 'preuve' que ses articles bidons sur ses sites bidons sont partagés en toute connaissance de cause par les partisans d'une campagne pro-Trump très agressive en ligne, dont on ignore le cerveau (tout cela a-t-il été organisé ? qui a tiré les ficelles ?). En effet, durant une semaine en juillet 2016, il a essayé de propager des fausses informations sur Bernie Sanders, le candidat démocrate très à gauche. "Les supporters de Bernie Sanders sont parmi les plus intelligentes que je connaisse. Ils ne croyaient rien. Les infos devaient être prouvées pour qu'ils y croient", a expliqué notre jeune Macédonien à Wired.

Ses journées durant la campagne électorale sont rythmées de la sorte: plusieurs fois par jour, il cherche des fausses infos pro-Trump (et il n'a pas trop de mal à en trouver).

Il les copie/colle sur l'un de ses deux sites, puis les partage sur les nombreux groupes Facebook acquis à la cause de Donald Trump: My America, My Home, Les Déplorables, Les Amis qui supportent le président Donald J. Trump. Des groupes qui ont des centaines de milliers de membres en plus que les groupes qui soutenaient la candidature d'Hilary Clinton.

Uniquement pour l'argent…

Des méthodes très douteuses, mais Boris n'en a cure. Ni du fait d'avoir eu un rôle potentiel dans l'élection de Donald Trump. "Si les Américains voulaient qu'Hillary Clinton gagne, elle aurait gagné. Ils ont voté pour Donald Trump, il a gagné", se défend-il maladroitement.

Il est tout de même un peu inquiet par la politique pour le moins inédite du nouveau président. "Un gars un peu fou, qui pourrait provoquer la troisième guerre mondiale".

S'il laisse de côté sa morale, c'est parce que l'argent en provenance des publicités placées par Google était bien réel. En février 2016, Boris se contentait encore de 150$ par mois ; mais entre août et novembre, il a amassé la coquette somme de 16.000 dollars uniquement grâce à ses deux sites pro-Trump.

Le salaire moyen en Macédoine est de 360 euros par mois, et Veles affiche un taux de chômage de 24%. CQFD.

Un succès éphémère

Pendant quelques mois, Boris et ses amis (car il était loin d'être le seul à profiter du bon filon) ont mené la vie dont ils rêvent tous. Boris, par exemple, a acheté 100$ sa bouteille de Moët en boite de nuit, et a fait le grand prince pour attirer les regards. Il s'est acheté un nouvel ordinateur et des beaux vêtements. Pour la voiture de luxe, cependant, c'est raté.

En effet, depuis la victoire de Trump, les géants du web comme Google et Facebook ont pris des mesures par rapport aux sites relayant de fausses informations. La plus importante d'entre elles: ils n'y placent plus de publicité depuis le 24 novembre. Boris pourrait encore attirer des visiteurs, mais il ne gagnerait plus d'argent. Il n'y accorde donc plus beaucoup de temps.

Il pense à reprendre un jour des études de développeur informatique, pour trouver une place "chez Microsoft ou Apple". Cependant, il compte encore lancer d'improbables sites web dans le but d'attirer des visiteurs, avec du contenu aguicheur mais non catalogués comme 'fake news' par Google et Facebook…


 

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