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Violences conjugales: "On ne tue jamais sa femme par amour"

Violences conjugales: "On ne tue jamais sa femme par amour"
Manifestations de femmes contre les violences conjugales à Bucarest le 26 novembre 2011DANIEL MIHAILESCU
 
 

"On ne tue jamais sa femme par amour" mais "pour la garder", estime la psychologue Ernestine Ronai, membre du Haut conseil à l'égalité et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis, appelant à "passer à la vitesse supérieure" dans l'accompagnement et la protection des victimes de violences.

QUESTION: 123 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex en 2016, on en comptait 122 en 2015, 148 en 2006. Pourquoi ce chiffre évolue-t-il peu ?

REPONSE: "On progresse mais encore trop lentement. Les mesures de protection, le téléphone 'grand danger', le fait que la société parle plus de ce sujet, sont des points positifs. Mais il faut passer à la vitesse supérieure. Il y a encore trop d'enfants, d'hommes et bien davantage de femmes qui meurent chaque année. C'est possible de les sauver. Des moyens existent dans la loi, ils ont été créés, sont sévères. Il faut qu'on s'en serve mieux et qu'on les diffuse davantage."

Q: Quels sont ces moyens, que pourrait-on faire de plus ?

R: "Si on veut réussir à faire reculer les violences, il faut d'abord poursuivre l'effort pour mieux prendre en compte la parole des femmes, aussi bien par les services sociaux que par les institutions (gendarmerie, police, magistrats). La formation et la sensibilisation sont essentielles.

Le téléphone 'grave danger' (confié aux femmes en danger et muni d'une touche permettant d'appeler directement les secours, ndlr) doit aussi être davantage mis en œuvre. On en est à 500 sur toute la France, ça fait en moyenne cinq par département... Là où il a été distribué, il a fait la preuve de son efficacité.

L'ordonnance de protection doit être plus systématique, même quand la femme n'a pas porté plainte. Si on veut encourager les femmes à parler, il faut rendre crédible l'idée qu'on peut les protéger avant la commission de nouvelles violences.

En parallèle, nous travaillons sur une possible préservation des preuves dans les Unités médico-judiciaire, même si la personne n'a pas porté plainte, et sur la prise en charge gratuite des victimes en psycho-trauma. Si les femmes sont bien accompagnées, bien protégées, elles ne retournent pas vers l'agresseur et on peut éviter des féminicides."

Q: Le mot féminicide, que vous employez, doit-il rentrer dans le vocabulaire et apparaître dans le droit français ?

R: "Je suis pour. On parle bien d'homicide, d'infanticide. Il faut s'intéresser aux victimes, ne pas faire disparaître leur sexe, sinon on ne pourra pas chercher les causes. Il faut sortir du fait divers pour commencer à parler de faits de société.

On ne tue pas sa femme par amour, jamais. On la tue car on ne supporte pas de la perdre, on veut garder son objet. La vie n'a plus de sens pour les hommes si leur femme les quitte. Beaucoup, d'ailleurs, se suicident après le passage à l'acte. Il y a des violences car il y a une appropriation de la femme par l'homme. Dans l'histoire, on a toujours enfermé les femmes, on leur a mis des ceintures de chasteté, on a pratiqué des infibulations... Tout cela pour que les hommes aient la certitude que leur descendance venait bien d'eux. Ensuite, il s'agissait de les priver de savoir, d'indépendance financière, de la place en politique, de tout ce qui les rend égales, finalement.

En revanche, les chiffres montrent que les femmes qui tuent le font car elles n'en peuvent plus. Sur les 28 femmes auteures d'homicides, 17 étaient victimes de violences. Ce chiffre-là est intéressant car il veut dire que 60% des victimes hommes étaient des agresseurs."


 

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