La bronca des acteurs de la politique de la ville n'aura pas suffi: deux semaines après l'annonce de la composition du gouvernement, pas un ministère ne porte l'intitulé de la "Ville", laissant augurer des coupes claires dans le budget, selon les élus.
La nouvelle ministre du Logement et de la rénovation urbaine Valérie Létard l'assure: c'est bien elle qui reprend le portefeuille de la Ville et ses programmes dans les quartiers défavorisés, en vertu d'un décret d'attribution non encore publié.
Reste que l'intitulé de son ministère n'a pas bougé, quand les secteurs du handicap et des anciens combattants ont eux décroché des ministres délégués.
Pour Catherine Arenou, maire DVD de Chanteloup-les-Vignes et vice-présidente de l'association Ville et Banlieue, pas question de faire un procès d'intention à la nouvelle ministre.
Proche de Jean-Louis Borloo, le père du renouvellement urbain, Valérie Létard a beaucoup travaillé sur la politique de la ville en tant qu'élue de Valenciennes.
"Avec Catherine Vautrin (ex-présidente de l'Anru, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, ndlr), on a affaire à deux personnalités qui ont un vrai savoir-faire", observe Mme Arenou.
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre n'a pourtant glissé aucune référence aux 1.580 quartiers dits "prioritaires de la politique de la ville" (QPV) et à leur plus de 5,4 millions d'habitants.
Pour couper court aux critiques, la nouvelle ministre se rendra à Lille lundi pour visiter un chantier d'insertion "relevant de la politique de la ville".
"On a toujours imaginé que le jour où disparaîtrait la politique de la ville- et on souhaite qu'elle disparaisse- c'est qu'on n'en aurait plus besoin", observe Driss Ettazaoui, vice-président de Ville et Banlieue.
Sauf qu'aujourd'hui "les fractures n'ont jamais été aussi importantes entre la ruralité et les quartiers, les villages et nos cités", remarque-t-il.
"Bien sûr que la qualité des bâtiments est fondamentale", souligne Agnès Bourgeais, maire DVG de Rezé (Loire-Atlantique), en référence à la rénovation urbaine, "mais nos quartiers ne se limitent pas à un problème de béton".
-"Dynamique d’effacement"-
"Oublier les habitants de nos quartiers populaires, c’est dire à tous ces jeunes qu’ils n’ont pas complètement leur place dans notre société", abonde Johanna Rolland (PS), présidente de France urbaine.
Pour Thomas Kirszbaum, chercheur associé au Ceraps à Lille, l'intitulé de "rénovation urbaine", traduit "une conception réductrice de la politique de la ville, qui ne marche plus que sur une jambe, celle de la transformation physique des quartiers, en oubliant de répondre aux problématiques sociales des habitants".
"Le pari qui fut celui de Martine Aubry de mobiliser l'Education nationale, le ministère de l'Emploi, etc., en supposant qu'on pouvait se passer d'une politique spécifique a fait long feu", analyse-t-il.
"On a structurellement besoin d'une politique spécifique précisément parce que les politiques publiques de droit commun ne font pas leur boulot", poursuit-il, estimant que les quartiers prioritaires "n'ont plus de prioritaire que le nom".
Loin d'être un "loupé", la disparition d'un ministère dédié est "un choix", observe le sociologue Renaud Epstein, rappelant que la ruralité a elle toute sa place, avec une ministre déléguée.
"Ce choix vient parachever une dynamique d'effacement de la politique de la ville à l'oeuvre depuis dix ans", juge-t-il. Les différents programmes de "rattrapage" associés à cette politique, qu'ils soient sur l'éducation, le vivre ensemble, la culture ou le développement économique, "existent toujours", mais il faut selon lui "ne plus l'afficher".
"Les gouvernants sont tétanisés par la pression du Rassemblement national et désormais de la droite, avec un discours qui consiste à dire qu'on met des milliards dans les banlieues, sous-entendu pour les +Noirs et les Arabes+, pendant que la France, supposée périphérique, souffre", analyse-t-il en estimant que les émeutes de 2023, les plus importantes qu'ait connues la France depuis 2005, "n'ont donné lieu à aucune annonce, si ce n'est sur l'ordre et la sécurité".
Plus globalement, les élus s'interrogent sur la pérennisation des 624 millions d'euros de crédits alloués en 2024 à la politique de la ville, dans un contexte de disette budgétaire.
Selon plusieurs personnes proches de ces dossiers interrogées par l'AFP, les coupes pourraient aller de -14% à -25%, voire plus. "Les politiques de la ville ont complètement disparu pour Michel Barnier, et elles disparaîtront dans le budget", assure même l'une d'entre elles.
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