Achat d'embarcations en Turquie, stockage de matériel aux Pays-Bas: 18 membres présumés d'un vaste réseau de passeurs, soupçonnés d'avoir organisé le passage de milliers de migrants vers le Royaume-Uni, sont jugés jusqu'au 11 octobre à Lille.
Soupçonnés d'avoir été les logisticiens de traversées clandestines de la Manche entre juillet 2020 et juillet 2022, les prévenus, principalement irako-kurdes, sont poursuivis pour "aide à l'entrée à la circulation ou au séjour irréguliers" et "participation à une association de malfaiteurs".
Vingt-et-un prévenus devaient initialement être jugés par la Juridiction interrégionale spécialisée de Lille, mais le procès de trois d'entre eux, détenus en Belgique, a été renvoyé à mars 2025.
Seuls treize prévenus sont présents aux audiences qui ont débuté lundi.
L'un des donneurs d'ordre supposés est un Irakien de 26 ans. Il est soupçonné d'avoir joué un rôle central dans le réseau, en orchestrant, depuis sa cellule de prison à Tours puis au Havre, les traversées de migrants par embarcations motorisées.
Il a été expulsé de l'audience mercredi après avoir insulté et menacé des interprètes.
- 100.000 euros par bateau -
D'après les enquêteurs, ce réseau constituait l'un des principaux groupements de trafiquants irako-kurdes à dimension européenne pour les traversées de la Manche. Ses membres le géraient comme une entreprise, où une embarcation de 50 migrants pouvait rapporter jusqu'à 100.000 euros. Les départs étaient organisés notamment depuis le camp de migrants de Grande-Synthe (Nord).
La plupart des prévenus "sont des logisticiens qui ne traitaient pas avec les migrants", explique l'avocat de l'un d'eux, sans vouloir donner son nom.
Si certains ont un "profil très conséquent", il y a aussi des "tout-petits", qui "ont été remplacés le lendemain", ajoute-t-il.
Depuis janvier, plus de 25.000 migrants sont arrivés sur les côtes britanniques après avoir traversé la Manche à bord d'embarcations de fortune, un chiffre en progression de 4% selon des chiffres du ministère britannique de l'Intérieur publiés le 23 septembre. Une série de naufrages a fait de 2024 l'année la plus meurtrière depuis le début du phénomène des traversées par "small boats", nom donné à ces canots pneumatiques de fortune, en 2018.
Jeudi matin, le tribunal interrogeait un Néerlandais et son père irakien sur des moteurs et des centaines de gilets de sauvetage découverts en juillet 2021 dans un garage qu'ils louaient aux Pays-Bas, ainsi que sur les factures d'embarcations achetées en Turquie. Peu loquaces, les deux hommes ont contesté ces éléments, comme la plupart des prévenus.
D'autres sont poursuivis pour avoir organisé en bus le transport de migrants, depuis des hôtels proches du littoral vers les plages françaises.
"On n'a sans doute, comme d'habitude, que des petites mains", a estimé Me Kamel Abbas, avocat d'un des prévenus, interrogé par l'AFP. "Il y a peut-être des lieutenants, mais des chefs de réseau, vu les circonstances d'interpellation, je n'y crois pas".
Le 6 juillet 2022, une opération internationale menée conjointement par la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, coordonnée par les agences Europol et Eurojust, avait mené à 39 arrestations.
Plus de 50 perquisitions avaient permis de saisir 1.200 gilets de sauvetage, près de 150 bateaux pneumatiques et 50 moteurs de bateaux, ainsi que des armes et de la drogue.
Ce procès constitue le deuxième volet judiciaire de cette affaire, dans laquelle 12 personnes ont déjà été jugées l'hiver dernier à Lille.
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