D'épais gants blancs extirpent de la fumée une planche de bois brunie par l'agglutinement des abeilles, tandis que des visages s'avancent prudemment. "Tout va bien dans cette ruche!", rassure Ibrahim Karout, souriant Syrien qui dispense des cours d'apiculture à des migrants qui ont "tout perdu".
En cette matinée nuageuse sur le toit de la mairie du XVIIe arrondissement parisien, il laisse le soin à Djoul Alain Kaba, jeune réfugié guinéen affublé d'une combinaison d'apiculteur, de finir d'inspecter minutieusement les alvéoles où est contenu le miel.
Deux autres élèves, demandeurs d'asile afghan et érythréen, passent également de ruche en ruche accompagnés des conseils bienveillants - ponctués de "mon ami" - prodigués par le Syrien de 69 ans, qui partage sa passion depuis deux ans et la création de l'association Espero.
Ils sont plusieurs dizaines, réfugiés, demandeurs d'asile ou plus marginalement Français sans emploi, à profiter à Paris mais aussi à Bobigny (Seine-Saint-Denis) de ces leçons qui sont autant un pas vers l'emploi qu'un moyen de cultiver une vie sociale au détour de parcours souvent chaotiques.
Dès son arrivée en France en mai 2017, Djoul Alain Kaba, chemise verte et noire impeccablement repassée, affirme avoir saisi avec cette formation "la première chance" qui lui a été offerte de s'intégrer après une épopée qui l'a vu traverser la Libye, la Méditerranée et l'Italie.
"Au pays, ça fait sourire, ils ne comprennent pas que je fasse de l'apiculture, ils ne connaissent même pas le mot", raconte le jeune homme de 22 ans d'une voix basse couverte par le bourdonnement des abeilles.
Ce Guinéen qui a obtenu le statut de réfugié récemment après un recours auprès de la Cour nationale du droit d'asile a eu un "coup de foudre" pour un métier proche de la nature et surtout loin des affres de la traversée de la Méditerranée, qu'il a tentée presque sûr de "mourir" sur un zodiac avec 140 personnes, avant d'être secouru en haute mer.
- "Travail avec le vivant" -
"Ce sont des gens qui ont tout perdu et avec lesquels on ne recommence pas de zéro, mais à moins que zéro", témoigne l'Américaine Maya Persaud, cofondatrice de l'association qu'elle voit comme un "tremplin vers une première intégration socio-professionnelle".
A l'origine, une volonté de "faire quelque chose pour l'insertion des réfugiés". L'apiculture s'impose à elle pour des raisons avant tout pratiques: c'est un métier "très gestuel" où la maîtrise de la langue n'est pas essentielle, même si elle oriente ses bénéficiaires vers des cours de français spécialisés.
Une initiative adoubée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui affirme avoir orienté vers Espero 70% de ses apprentis cette année, à l'instar de Djoul Alain Kaba.
Ces derniers s'engagent dans un "long processus d'intégration", explique l'OFII, car avec la baisse de la demande de main d'oeuvre peu qualifiée, l'insertion professionnelle reste fragile. D'où la création avec l'Afpa, l'agence nationale pour la formation professionnelle, d'un programme dédié pour 1.500 réfugiés.
Devenir apiculteur ne demande pas beaucoup d'investissement et "avec 1.000 euros, on peut commencer un business", veut croire Ibrahim Karout, lui-même réfugié après avoir quitté en 2013 son pays en guerre.
En quelques mois de formation, cet ingénieur électricien de métier a en tout cas vu ses apprentis changer au contact d'abeilles qui ont besoin d'"un million de visites pour produire un kilo de miel": cela leur apprend "la patience et le goût du travail". Et surtout, philosophe-t-il, "le travail avec le vivant".
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