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"Argent rapide": le fléau des crédits conso en Russie

"Argent rapide": le fléau des crédits conso en Russie
Une publicité pour des crédits à la consommation dans une rue de Moscou, le 14 août 2019Kirill KUDRYAVTSEV
 
 

Le business va mal? Désir de vacances? Qu'il s'agisse d'envies ou de difficultés, l'entrepreneuse pétersbourgeoise Ioulia Galitch y répond avec un crédit conso, un produit qui connait un boom en Russie du fait notamment de l'érosion du pouvoir d'achat.

"Quand tu commences, tu ne peux plus t'arrêter. Et le pire est que l'on est toujours en position de débiteur, même lorsque l'on paye les traites dans les temps", raconte cette cheffe d'entreprise de 48 ans qui dirige une école de maquillage et un magasin spécialisé dans les produits de beauté professionnels.

Ainsi, alors même que sa société est à la peine, elle vient de prendre un crédit de 80.000 roubles (environ 1.140 euros) pour se payer des vacances en Israël avec son mari et son fils de 10 ans.

"Je prends d'habitude des cartes de crédit (plutôt que des emprunts en espèces). Elles sont plus faciles à obtenir, mais les taux peuvent s'élever jusqu'à 49% annuels, c'est énorme", explique Mme Galitch, qui a mis le doigt dans l'engrenage il y a quelques années et se dit "dépendante".

Ce phénomène connaît une croissance exponentielle, beaucoup de Russes ayant recours à ces services pour compenser la baisse du pouvoir d'achat, conséquence des sanctions occidentales imposées à la Russie en 2014 à cause du conflit ukrainien.

Selon une étude publiée en août par l'institut public Vtsiom, 51% des Russes ont actuellement des prêts en cours, contre 26% il y a dix ans.

- "Moteur de la croissance" -

Aux abords des métros, en banlieue, nichés dans les centre commerciaux, des établissements de micro-crédit, parfois à la lisière de la légalité, fleurissent, promettant de l'argent facile et rapide sans aucune condition. Le tout à des taux souvent astronomiques, malgré les tours de vis de la Banque centrale.

Le montant des dettes à la consommation non garanties s'élevait au 1er octobre à 8.700 milliards de roubles (125 milliards d'euros au taux actuel), en hausse de 17,6% depuis le 1er janvier.

Le ministre de l'Economie Maxime Orechkine a tiré la sonnette d'alarme fin juillet, affirmant que "la situation pourrait devenir explosive en 2021". Mais depuis, silence radio du ministère sur la question.

Des analystes interrogés par l'AFP relèvent que ce genre de produits financiers sont devenus essentiels pour soutenir l'économie russe, dont le PIB devrait croître de tout juste 1,3% en 2019.

"Le ministère ne veut plus attirer l'attention sur ça, car c'est un des principaux moteurs de la croissance en ce moment", indique Natalia Orlova, chef économiste d'Alfa Bank.

Ces prêts sont aussi souvent le seul moyen pour la classe moyenne russe d'accéder au smartphones et aux plages dont ils rêvent. Mais pour ceux qui ne règlent pas leurs créances dans les délais, un business agressif du recouvrement s'est créé.

L’inscription au registre des personnes interdites de sortie du territoire russe est une mesure particulièrement redoutée. Selon l'Association nationale des agences de recouvrement (Napca), environ 10 millions de Russes - soit un quart des débiteurs - auraient des difficultés à rembourses leurs dettes.

- "Pas tuée" -

Victor Semendouïev, vice-président de la compagnie de recouvrement Credit Express, considère, lui, que le secteur a été largement purgé de ses excès depuis une législation adoptée en 2016.

"Cette loi précise combien de fois par semaine nous pouvons appeler, envoyer des SMS, des lettres", égraine-t-il, tandis que derrière lui, une vingtaine d'employés enchaînent les coups de fil aux débiteurs.

L'homme d'affaires assure aussi que les appels de nuit sont bannis, les conversations enregistrées et qu'en cas d'abus, un dépôt de plainte possible.

Olga Skoudoutis, vétérinaire retraitée de 63 ans, décrit une autre réalité. Depuis dix ans, elle consacre tous les mois la moitié de sa pension de 23.000 roubles (330 euros) aux traites.

Selon elle, une société de recouvrement, entre autres méthodes d'intimidation, a menacé des proches, démoli sa boîte aux lettres et bouché sa serrure à la colle.

Et la police reste, dit-elle, sourde aux appels à l'aide. "Ils me répondent qu'il n'y a pas de corpus delicti: +Il ne vous ont pas tuée, revenez quand ils vous auront tuée+".


 

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