Pour la première fois, nous avons soumis à un constructeur l'avis contraire d'un concessionnaire concernant le biocarburant 95 E10, qui a remplacé la 95 traditionnelle dans nos pompes à essence au début de l'année 2017. Honda explique cette différence par le fait qu'un garagiste "peut toujours donner, de sa propre initiative, un autre avis en fonction des besoins de son client". Un argument en partie logique, mais qui entretient l'image floue de cette essence contenant au maximum 10% de bioéthanol, un alcool 'belge' produit à partir de betterave et de blé.
La 95 E10, qui en Belgique a été imposée aux automobilistes en remplaçant la 95 traditionnelle, n'en finit pas de faire parler d'elle. Après divers témoignages et une enquête qui sème le doute sur l'intérêt réel de ce biocarburant dans nos moteurs, place aux contradictions entre le discours officiel et la réalité du terrain.
C'est Fabrice qui a mis le doigt sur un paradoxe qui ne va qu'accentuer le flou artistique flottant au-dessus de l'essence la plus utilisée en Belgique. Joignant des preuves au message adressé à la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous, il démontre que sa moto est officiellement listée 'compatible avec la E10' sur le site de la Febiac (Fédération Belge de l'Automobile et du Cycle), mais que son garagiste lui recommande vivement de ne pas l'utiliser.
"Voici le résultat d'une recherche sur le site officiel de la Febiac (recommandé par le SPF économie) qui me certifie que ma moto est compatible avec le nouveau carburant. Mais également le courrier de mon garage me déconseillant ce même carburant. Honda n'a donc pas peur de dire que ses motos ne sont pas compatibles", nous a-t-il écrit.
Une confirmation
En réalité, nous avons déjà évoqué une telle différence de discours. Dans son enquête, le magazine wallon Moto 80 avait déjà pointé du doigt des contradictions entre les recommandations des constructeurs (et donc de la Febiac) et celle des concessionnaires qui, en ligne directe avec le client, préfèrent ne pas prendre de risque avec l'essence 95 E10.
Mais c'est la première fois que nous avons les preuves du double discours. Comme l'a relevé Fabrice, qui voulait s'assurer que sa moto Honda Deauville NT 700 de 2013 pouvait utiliser du biocarburant, le site de la Febiac est catégorique: "Toutes les versions de ce modèle à partir de l'année de fabrication 2010 (…) sont compatibles".
Quand il a demandé la confirmation à son garagiste (un concessionnaire officiel Honda dont nous ne citerons pas le nom), il a reçu une toute autre réponse: "Honda nous informe que cette nouvelle essence N'EST PAS DU TOUT RECOMMANDÉE pour les motos avec carburateurs". Fabrice possède cependant une moto récente, avec un système d'injection et non un carburateur. Mais son garage se montre tout autant réservé: "Pour les moteurs à injection, (l'essence 95 E10) peut convenir mais les joints pourraient en souffrir au fil du temps".
Les conclusions du garagiste sont sans équivoque: "Il est préférable de passer à la 98".
Que dit Honda ?
C'est la première fois que nous pouvons soumettre un constructeur à la problématique de l'essence E10, et de ses potentiels dégâts sur les véhicules.
Rappelons que les motos ont une mécanique "plus pointue, plus sensible", selon le journaliste de Moto 80 que nous avions interrogé. Et surtout, qu'elles sont souvent inutilisées pendant des périodes allant de quelques jours à quelques mois. Le carburant reste alors longtemps dans le réservoir de la moto. Dès lors, l'eau présente dans le bioéthanol a le temps de se séparer de l'essence, puis de se condenser et de faire des dégâts (corrosion, etc). On parle donc d'une durée de vie limitée pour le biocarburant.
La position de Honda n'est pas tout-à-fait claire. Comme tous les autres constructeurs, il a envoyé à la Febiac sa liste de voitures et de motos compatibles ou non compatibles avec la nouvelle essence 95 E10. Ce qui a permis à la fédération de développer le test à destination des propriétaires de voiture ou de moto, sur son site. Elle le précise d'ailleurs sur cette page: "Cette application 95 E10 a été développée par FEBIAC sur base des informations fournies à ce jour par les constructeurs automobiles ou leur représentant officiel en Belgique".
Via sa porte-parole Marjon Daggenvoorde, Honda a répété que la moto de Fabrice pouvait utiliser du biocarburant. "La position que nous suivons a été communiquée à tous nos concessionnaires en décembre 2016. L'essence 95 E10 est autorisée pour ce type de moto (Deauville NT700 2013)", nous a-t-elle expliqué, joignant même la brochure envoyée à tous les garages officiels de la marque en Belgique.
Le concessionnaire "peut toujours donner un autre avis"
Dès lors, pourquoi cette différence entre la liste envoyée aux distributeurs et l'email du concessionnaire ? "Malgré les directives que nous lui avons envoyées, il peut toujours donner, de sa propre initiative, un autre avis en fonction des besoins de son client. La raison la plus évidente est la durée de vie limitée du carburant (dont on vient de parler, NDLR)".
Selon Honda, le "caractère saisonnier de la moto" est très important et justifie la prudence du concessionnaire, qui connait ses clients et sait s'ils roulent souvent ou rarement avec leurs motos.
Une explication qui a du sens, car Fabrice ne fait "que 2.000 km par an" et lorsqu'on l'a contacté, en mars, il "venait de ressortir" sa Deauville. Mais la majorité des motos en Belgique ne sont pas utilisées en en hiver, qu'elles passent à l'abri. Tous les concessionnaires tiennent un discours différent de celui de Honda vis-à-vis de tous leurs clients ? Si ce n'est pas le cas, il faut s'attendre à ces problèmes liés aux motos dans les mois à venir…
Fabrice n'a pas pris de risque
Quoi qu'il en soit, le double discours constructeur/concessionnaire continue de semer le doute auprès des usagers.
Dans le doute, Fabrice a bien entendu suivi les conseils de son garagiste. "Il me restait un demi-plein de 95 'normale' quand j'ai ressorti ma moto, et je vais utiliser de la 98 par après". Elle est plus chère, mais on parle ici d'une moto qui vaut "11.000€ à l'état neuf". Donc, "pas de prise de risque".
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