Le pouvoir judiciaire a accepté le principe d'une transaction pénale dans le dossier "Chodiev et consorts" en dépit de l'opposition de l'exécutif et du législatif, ressort-il des nouvelles révélations publiées par Le Soir lundi. Les partis d'opposition DéFI et Ecolo-Groen réclament la mise sur pied d'une commission d'enquête. Une proposition soutenue par le cdH et le PS, et à laquelle ne s'oppose pas le MR, le parti de M. De Decker.
Le président de DéFI Olivier Maingain a redéposé sa proposition d'une commission d'enquête parlementaire vouée à l'affaire Chodiev, indiquait lundi Le Soir. Ecolo et Groen ont eux aussi réclamé lundi, au terme de leurs bureaux de parti, la mise sur pied d'une telle commission. La proposition a ensuite été soutenue par le PS et le cdH. le Mouvement réformateur, le parti de M. De Decker, ne s'oppose pas à une commission d'enquête.
DéFI pointe du doigt l'intervention du député au bénéfice "de mafieux notoires"
"Il faudra à tout le moins s'interroger sur l'interventionnisme d'un État - la France - dans la souveraineté d'un autre État - la Belgique - pour favoriser ses intérêts commerciaux", selon M. Maingain. Le président des démocrates fédéralistes indépendants (DéFI) pointe aussi du doigt l'intervention du député Armand De Decker (MR) au bénéfice "de mafieux notoires comme Chodiev et ses acolytes". "Il apparaît incontestablement aujourd'hui qu'il y a eu des démarches de la part d'Armand De Decker auprès du cabinet de la Justice de l'époque pour vérifier l'état d'avancement du texte de loi élargissant la transaction pénale". Une commission d'enquête permettrait de formuler des propositions en termes d'éthique pour les élus, mais aussi d'examiner pourquoi le ministre de la Justice de l'époque, Stefaan De Clerck (CD&V) "ne s'est pas opposé fermement à l'adoption de la loi sur la transaction pénale", ni a fortiori le gouvernement d'affaires courantes de 2011 (Leterme II).
Pour Olivier Maingain, les progrès de l'enquête judiciaire depuis sa première demande d'une commission d'enquête il y a deux ans ne permettent plus d'éluder cette exigence.
Ecolo: "Une véritable affaire d'État"
"Chaque jour apporte son lot de révélations", a renchéri Ecolo-Groen. "Les informations de plus en plus précises qui sont révélées par la presse et via les questions parlementaires des députés écologistes indiquent que la loi sur la transaction pénale amiable, adoptée en mars 2011, l'a été sous pression du président de la République française de l'époque (Nicolas Sarkozy, ndlr) en fonction des intérêts kazakhs, le tout notamment avec la collaboration active de l'ex-président du Sénat Armand de Decker". Les Verts parlent d'une "véritable affaire d'État" et dénoncent une justice de classe. "Le fait que des personnages très riches et très influents, dont la naturalisation pose question, puissent échapper à une décision judiciaire grâce à des appuis qui auront influencé tant le Parlement que le Gouvernement de l'époque, et même la Justice, doit être élucidé", selon le co-président d'Ecolo Patrick Dupriez. "S'il faut espérer que l'enquête judiciaire en cours aboutisse rapidement, il y a des conclusions politiques à tirer dès à présent", ajoute Georges Gilkinet, député fédéral Ecolo.
PS et cdH soutiennent la proposition
Le cdH s'est prononcé lundi en faveur de la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire pour faire la clarté dans le dossier du Kazakhgate. Il souhaite toutefois attendre les résultats de l'information judiciaire en cours et dont le ministre de la Justice a annoncé la semaine passée la conclusion à brefs délais.
Tant les révélations médiatiques sur le rôle éventuel joué par Armand De Decker et son influence sur le traitement d'un dossier pénal que les zones d'ombres qu'elles laissent subsister imposent de faire la clarté, a-t-on indiqué au groupe PS de la Chambre.
Même le parti de M. De Decker ne s'oppose pas à une commission
Il revient à la Commission de la Justice de la Chambre de fournir un travail préliminaire afin d'identifier les outils parlementaires qui seront les mieux adaptés pour faire la lumière dans le dossier, a indiqué lundi le chef de groupe MR à la Chambre, Denis Ducarme, à la suite des nouvelles révélations dans l'affaire de la transaction pénale dont a bénéficié le milliardaire kazakh Patokh Chodiev.
"Il est indispensable de faire la lumière", a souligné M. Ducarme, en précisant que le parlement disposait de plusieurs moyens: un travail mené par la Commission de la Justice elle-même, une commission spéciale, voire une commission d'enquête. "Si les conclusions devaient déterminer la commission d'enquête comme l'outil adapté, nous ne nous y opposerions pas", a ajouté le chef de groupe. A l'instar du cdH, les Réformateurs font toutefois remarquer qu'une information judiciaire est en cours et qu'il est sans doute souhaitable d'attendre les résultats de celle-ci.
Armand De Decker est-il intervenu pour aider un milliardaire belge d'origine kazakh?
L'enquête "Kazakhgate" porte sur des soupçons de corruption et de commissions occultes touchées en marge d'importants contrats conclus sous la présidence de Nicolas Sarkozy entre la France et le Kazakhstan entre 2010 et 2011. Ce dossier comporte un volet belge dans lequel est mentionné l'ancien président du Sénat, Armand De Decker.
Selon des révélations de médias, l'avocat, parlementaire libéral et bourgmestre d'Uccle, serait intervenu auprès du ministre de la Justice de l'époque Stefaan De Clerck et de son cabinet, pour que le milliardaire belge d'origine kazakh, Patokh Chodiev, alors poursuivi en Belgique pour divers chefs d'inculpation dans l'affaire Tractebel, puisse bénéficier d'une transaction pénale.
M. De Decker nie toute malversation.
Une transaction pénale plutôt qu'un procès
Lundi, Le Soir et Mediapart ont relayé les déclarations de Catherine Degoul, avocate française de M. Chodiev, devant le parquet de Paris et une commission rogatoire d'enquêteurs belges, révélant que la défense aurait envoyé un projet de transaction pénale ainsi qu'un projet de réquisitoire à l'avocat général. "On m'a expliqué que cela se faisait en Belgique", a-t-elle commenté en évoquant l'envoi du projet de réquisitoire.
Les deux quotidiens jugent probable que la transaction pénale a été validée malgré une circulaire du procureur général de l'époque Marc de le Court, mais avec l'aval du parquet général (confirmé en chambre des mises en accusation), et contre un accord politique scellé au niveau parlementaire. Ils pointent du doigt le rôle de l'avocat général Patrick De Wolf, qui était aussi magistrat de liaison au sein du cabinet du secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude, Carl Devlies (CD&V). M. De Wolf, qui a été entendu dans le dossier, ne confirme pas les déclarations de Mme Degoul.
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